Depuis plus de 20 ans le collège de philosophie du Gymnase français de Bienne propose une semaine d’études qui allie cinéma et philosophie, dans laquelle de jeunes gymnasiens redécouvrent le cinéma avec un peu de recul.
Pour la troisième année consécutive, Daily Movies publie quelques analyses écrites par des élèves qui ont, cette année, travaillé sur la question de l’humour. Il ne s’agissait pas d’abord de faire rire les élèves, encore moins de les divertir, mais de leur demander de prendre du recul par rapport à leurs goûts en distinguant l’humour qui suscite une interrogation sur le sens des projets humains et de la vie en commun, de l’humour qui enferme l’homme dans des habitudes sclérosantes et dans les stéréotypes « essentialistes ».
« Marguerite » de Xavier Giannoli (2015)
Une riche famille bourgeoise de l’entre-deux-guerres, une somptueuse résidence, un public émerveillé par les beautés déployées pour une œuvre des plus charitables et… une femme passionnée par l’opéra s’improvisant cantatrice pour le plus grand malheur de ses auditeurs.
Marguerite, incarnée par Catherine Frot, est une femme rêveuse, bercée dans l’illusion qu’elle a un talent de chanteuse d’opéra alors que sa voix ressemble plutôt aux aboiements d’un chien. Cependant, personne n’a le courage de lui dévoiler la vérité : certains trouvent de l’amusement à la voir se ridiculiser, d’autres ne veulent que sa fortune, tandis que ses proches cherchent seulement à la protéger. L’absurdité de la situation devient comique tant l’attitude de la maîtresse de maison est en décalage avec sa voix et on ne peut retenir un rire de surprise, voire de moquerie. Le cynisme de certains personnages et la pitié que nous inspire Marguerite provoquent également quelques rires nerveux dans la salle durant le reste du film. En effet, cette femme, trompée par tout son entourage, en est touchante par sa naïveté et sa fragilité.
Cette comédie dramatique, qu’on pourrait même qualifier de tragi-comédie, monte en tension dès la scène où Marguerite prend la décision de donner un concert pour un vrai public dans un prestigieux théâtre de Paris. Nous nous retrouvons alors captivés par ce récit tiré d’une histoire vraie notamment grâce à la beauté des costumes, aux décors et aux jeux des acteurs qui nous embarquent dans l’univers raffiné des années 20.
[Leila Vogelsang, Méline Monnier]
Imaginez que toute votre vie ne soit que mensonge… Impossible ? Pourtant, ce film nous prouve le contraire en se basant sur l’histoire vraie de Florence Foster Jenkins.
Chanter faux, voilà le véritable talent de Marguerite Dumont. La première fois on en rigole mais ensuite, lorsque personne n’a le courage de lui dire la vérité, on la prend en sympathie. On se sent autant démuni que son mari, Georges, qui hésite : lui dire la vérité et briser ses rêves ou la laisser dans son illusion, sachant que ce mensonge détruit leur couple ? Pourtant ils ont tout pour être heureux, elle a l’argent et lui le titre de noblesse. Mais dans la bourgeoisie hypocrite et manipulatrice des années 20 tous les coups sont permis pour parvenir à ses fins.
Marguerite, dans son exubérance et son originalité, détonne. Le public la trouve ridicule lors de ses prestations. Petit à petit ce n’est plus sa différence qui est ridicule mais la manière dont les gens s’en moquent. Leurs rires sont là pour satisfaire leur besoin de valorisation personnelle, se dire que finalement ils ne sont pas si pitoyables et qu’il y a pire qu’eux. Par cette attitude l’humour essaie, selon nous, de dénoncer l’ultimatum social suivant : être dans la norme ou être ridicule.
Dans ce film de Xavier Giannoli, l’humour parfois grinçant permet de mettre en lumière certains fonctionnements de la société actuelle. Au final, « Marguerite » nous permet également de nous poser des questions sur le pourquoi nous rigolons et de qui, ainsi que sur le potentiel destructeur du rire.
[Zana Morina & Sara Geiser]
« Potiche » de François Ozon (2010)
Suzanne est la caricature même de la vraie potiche, le cliché typique de la femme des années 70 : s’occuper de la maison, de sa famille et surtout, ne pas avoir d’avis ! Mariée à Pujol, un homme autoritaire, infidèle et patron intransigeant de la fabrique familiale de parapluies, elle a appris à se faire discrète et à satisfaire les envies de son mari sans broncher.
Lorsque les employés de la fabrique décident de se révolter contre leurs conditions de travail indécentes en faisant grève, le cœur de Monsieur Pujol ne le supporte pas et l’oblige à céder les rênes de l’entreprise à sa femme pour quelques temps. Cette succession à la tête de l’usine donne lieu à un retournement comique montrant l’ironie de la situation. Suzanne, dont on sous- estime les capacités, accomplit de belles choses et prouve l’importance et la nécessité des femmes dans la société. Elle finira même par perdre son rôle de potiche et prendre goût à la vie active.
Mêlant l’humour à la dénonciation de l’inégalité homme-femme, Ozon parvient à nous faire rire d’un sujet important et délicat mais malheureusement toujours d’actualité. Dans un décor kitsch propre à l’époque, Catherine Deneuve incarne son personnage avec brio dans une comédie légère et sympathique, à voir en famille !
[Lauranne Schlüchter, Madison Bühler & Marine Meier]
[Article réalisé par Thomas Gerber]
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