De Godfrey Ho, on connaissait déjà ses ninjateries 2-en-1 de la seconde moitié des années 80. Au début des années 90, le jeune Godfrey cherche à s’émanciper de la tutelle de son mentor et producteur Joseph Lai et s’exile aux Etats-Unis. Après les John Woo, Tsui Hark, Ronny Yu, Jet Li, Jackie Chan et autres Chow Yun Fat, c’est là encore un exemple malheureux de ce qu’on appelle la fuite des cerveaux.
GODFREY FIDÈLE À LUI-MÊME
Or, à l’instar de ses compatriotes susnommés, Godfrey va connaître quelques problèmes d’adaptation. En 1992, il réalise et co-produit « Honor and Glory » pour les firmes « Filmswell International » et « Action Star Pictures », un direct-to-video ayant pour tête d’affiche la gaillarde Cynthia Rothrock. Pour calmer les quelques appréhensions pré-visionnage, généralement en forme d’interrogations du genre « s’est-il un peu calmé avec l’âge, a-t-il mûri, aurait-il… mon dieu, fait des progrès ? » il suffit de se dire que non, Godfrey Ho est et restera toujours Godfrey Ho, et qu’ici on n’aura droit à 1h30 non-stop ! Malheureusement, « Honor and Glory » oscille mollement entre médiocrité drôle ou éprouvante, s’avérant au final plus proche d’un navet que d’un authentique nanar. C’est l’échec. Son public de fidèles le boude, Nanarland organise une pétition réclamant son retour à Hong Kong, bref Godfrey doute et entre alors dans une période d’intense réflexion pour tenter de comprendre les raisons d’un tel faux-pas. Un an plus tard, en 1993, il réalise soudain son erreur : la mode est au kickboxing, full contact et autres death matchs incarné par Van Damme & consorts !
Quelques temps plus tard, là où d’autres en seraient encore aux repérages, Godfrey boucle sa contribution annuelle au côté obscur du cinéma avec « Undefeatable », qu’il réalise et co-produit avec grosso modo les mêmes acteurs (Cynthia Rothrock, John Miller, Donna Jason). Il sait qu’il joue gros, que ses fans l’attendent au tournant et ne toléreront pas un nouveau navet, mais Godfrey se montre confiant, tournant son regard vers l’horizon et appréhendant l’avenir avec sérénité, car il a un joker de taille. Ce joker, c’est Don Niam.
NIAM NIAM
L’histoire est révolutionnaire, jugez-en : Kristie (Cynthia Rothrock) est une street fighteuse, qui accepte de se battre n’importe où contre n’importe qui pour de l’argent. Parallèlement, un kickboxer à la mulette arrogante (Don Niam, mon nouveau héros) se fait lourder par sa grosse, qui adorait porter des robes à fleur. Via un flash-back d’un pathétisme surréaliste, le spectateur de plus en plus consterné apprend que lorsqu’il était préadolescent, sa mère les avait abandonnés d’une façon assez semblable son père et lui. Du coup le kickboxer pète un câble, se transforme manu militari en tueur en série en puissance et va dès lors s’acharner à trucider toutes les malheureuses portant des robes à fleurs (ne riez pas, elles sont nombreuses !). Parmi les greluches victimes de leur mauvais goût vestimentaire, on compte bientôt, c’est ballot, la sœur de Cynthia Rothrock. Aidée par un flic cachant des pecs luisant sous sa chemise, elle se lance à la recherche de l’assassin.
La vraie perle nanarde du film, l’heureuse révélation, c’est bel et bien Don Niam dans le rôle du méchant kickboxer psychopathe Stingray. Acteur nanar jusqu’alors inconnu au bataillon, Don Niam est un phénomène difficilement explicable, quelque chose qu’il faut vraiment voir à l’écran pour en mesurer toute l’ampleur. Don Niam filmé par Godfrey Ho, c’est quelque chose de quasi mystique, une rencontre au sommet entre deux artistes au talent estropié, une communion touchante et fragile entre deux freaks du 7ème art, d’autant plus inestimable qu’elle restera unique, un évènement hautement mémorable qui vous ferait croire dur comme fer à l’existence de quelque omnipotente divinité du nanar. La façon ignoble et complètement absurde dont il meurt achèvera les abdominaux du spectateur, qui auront décidément bien travaillé durant ces 90 minutes de poilade. Dans le genre « jusqu’où peut-on aller trop loin » la légende du roi Ho continue. Tout le monde à genoux et gare aux mécréants !
[Régis Autran]