En 1954, Gojira (Godzilla) marque à jamais le cinéma japonais. Fondateur d’un genre nouveau essentiellement nippon qui subsiste encore aujourd’hui, le Kaiju Eiga, le dinosaure issu du péril atomique est une véritable métaphore de la folie des hommes et des armes nucléaires, un exutoire d’un Japon encore profondément traumatisé par Hiroshima et Nagasaki.
Si, dans un premier temps, les suites du premier Godzilla échouent à essayer de conserver le ton sombre et réaliste de l’original, le dinosaure géant se voit vite recyclé en icône des enfants, protecteur de la Terre (jusqu’au reboot de 1984). C’est dans le but de surfer sur cette vague que « Gamera » voit le jour en 1965. Tortue géante elle aussi réveillée par l’arme atomique, Gamera est donc à la base un Kaiju (terme japonais désignant une créature à connotation mystique) sans grande originalité, créé par un studio concurrent dans le but de faire un peu d’ombre au Roi des monstres. Les premiers films Gamera sont ainsi loin d’atteindre la puissance évocatrice du premier Godzilla ou la poésie d’un « Godzilla Vs Mothra » (1964), et c’est avec ce statut de Kaiju pour enfants que la tortue géante nous abandonnera en 1980, après huit long-métrages. Fin d’une ère, mais heureusement son départ ne sera que temporaire. En effet, Gamera reviendra quinze ans plus tard pour donner une leçon de Kaiju Eiga à Godzilla lui-même.
Le Kaiju Eiga est un genre qui peut paraître kitch et ridicule vu de l’extérieur mais qui s’avère une source de plaisirs uniques et incommensurables pour ceux qui sont réceptifs à toute la majesté et la poésie que peuvent dégager ces monstres géants, iconisés à mort, prenant la pose sur fond de mégapoles en flammes. Des grosses bêtes véritablement attachantes car souvent dotées d’une conscience, d’un grand sens du sacrifice et traditionnellement porteuses d’un message écologique. De quoi s’émerveiller devant ces créatures à l’aura mélancolique qui se retrouvent souvent à sauver la planète au péril de leur existence tragique. Allié au charme esthétique sans pareil du genre (costumes en latex au milieu de maquettes en carton) et à une approche touchante, toute en naïveté, le Kaiju Eiga est définitivement un genre injustement sous-médiatisé en Occident.
C’est donc en 1995 que le réalisateur Shūsuke Kaneko redonne vie à Gamera, avec un premier volet d’une œuvre qui prendra finalement la forme d’une trilogie. Kaneko redéfinit totalement les origines de la tortue géante et, par extension, révolutionne de manière grandiose le Kaiju Eiga, un genre au futur alors d’autant plus incertain que le règne du numérique commence sa fulgurante ascension (« Jurassic Park »). Gamera est à présent une création des Atlantes, peuple mythique éteint depuis des milliers d’années. Civilisation très avancée, ils créèrent dans un premier temps des créatures appelées les Gyaos, espèce d’oiseaux géants préhistoriques, dans le but d’endiguer la pollution. Se nourrissant de cette dernière, ils finirent néanmoins par se retourner contre leurs créateurs, et les Atlantes se virent obligés de donner vie à une nouvelle espèce de créatures pour se défendre : les Gameras. La guerre qui s’en suivit eut raison des oiseaux géants maléfiques mais également du peuple d’Atlantis, qui trouva néanmoins la force de créer une dernière créature pour protéger les civilisations futures d’un éventuel retour des Gyaos.
Si le premier volet, « Gamera – Guardian of the Universe », est un Kaiju Eiga de haute volée (qui reste cependant assez classique), c’est avec sa suite, « Gamera – The Real Guardian of the Universe [Attack of Legion] » (1996), et définitivement avec l’épisode clôturant la trilogie, « Gamera – The Absolute Guardian of the Universe [Revenge of Iris] » (1999), que Kaneko transcende le genre. Chaque volet apporte son lot de scènes d’une puissance émotionnelle encore jamais égalée à ce jour dans ce type de productions, si ce n’est peut-être avec « Godzilla, Mothra and King Ghidorah – Giant Monsters All-Out Attack » (2002), le Godzilla qu’il réalisera lui-même suite au succès unanime de sa trilogie.
Les effets spéciaux sont hallucinants et les scènes de destruction plus réalistes, poétiques et spectaculaires que jamais. De même, une certaine forme de violence fait son entrée dans un genre qui restait jusqu’alors plutôt timide sur le sujet. En effet, les dommages collatéraux des affrontements titanesques que se livrent les créatures ne nous sont pas épargnés ; les civils meurent sous nos yeux et parfois de manière cruelle, tandis qu’il est fréquent que les monstres géants se retrouvent transpercés ou amputés.
Le dernier film, le plus noir et le plus mature dans les thèmes qu’il aborde, entretient même une tension à forte connotation sexuelle entre une jeune fille (jouée par Ai Maeda, vue dans « Battle Royale » 1 et 2 et dans « Azumi 2 ») et l’adversaire apocalyptique de Gamera.
Les scénarios sont d’une efficacité à toute épreuve, les personnages sont attachants et les monstres opposés à notre tortue dans « L’Attaque de Légion » et « La Revanche d’Iris » sont sans aucun doute parmi les plus belles réalisations jamais créées dans le domaine, d’une beauté glaciale, majestueuse et fascinante. Une trilogie qui va donc crescendo pour finir sur un 3ème opus, réponse ultime au Godzilla américain, qui atteint simplement la perfection.
Avec sa trilogie, Shūsuke Kaneko redéfinit donc le Kaiju Eiga de la plus belle des manières et nous offre la quintessence du film de monstres japonais. Vous ne pensiez jamais être ému aux larmes devant une tortue géante antique qui vole et crache des boules de feu ? Vous n’aviez pas encore vu la trilogie « Gamera ».
GAMERA – La Trilogie
De Shūsuke Kaneko
Coffret 3 DVD
WE Prod
[Stéphane Gerber]
Excellente trilogie, dont les films diffèrent énormément (et tant mieux) des premiers films qui sont tout de même bien enfantins ! Il y eu également un nouveau Gamera en 2006 fort sympathique (si je me souviens bien) bien différent de cette trilogie et qui renoue un peu avec le coté enfantin des films originaux justement, sans être autant ridicule.