2014 a touché à sa fin et il est temps pour la rédaction de se pencher sur un classement des plus belles choses vues au cinéma cette année-là. Le choix aura été dur, tous les rédacteurs ne sortirent pas indemne des débats, mais dix films furent finalement retenus. Le résultat ci-dessous:
10. Gone Girl (David Fincher, USA)
Le jour de leur cinq ans de mariage, Nick Dunne (Ben Affleck) signale la disparition de sa femme, Amy (Rosamund Pike), écrivain pour enfant. La police le considère d’emblée comme le suspect numéro 1, mais le jeu de piste semble plus complexe qu’il n’y paraît. Inutile de le préciser, David Fincher sait faire des films. Il semble dès lors continuer sa routine en nous concoctant un thriller fin et complexe, d’une fraîcheur sans équivoque. C’est un plaisir de retrouver Rosamund Pike voler la vedette à Ben Affleck, déployant un jeu d’actrice qui pourrait enfin la faire briller à Hollywood. La belle blonde n’a, pour l’instant, joué que dans des seconds rôles… La B.O. est encore une fois signée par Trent Reznor et Atticus Ross, qui officiaient déjà dans The Social Network et Millenium. Alors Fincher ne se serait-il pas mouillé pour Gone Girl, offrant dès lors juste ce qu’il sait déjà faire? Certes, mais on ne pourra nier qu’il le fait sacrément bien. [Laure Noverraz]
9. Le Conte de la princesse Kaguya (Isao Takahata, Japon)
Adapté d’un conte japonais, ce film d’animation signé Isao Takahata raconte l’histoire d’une princesse trouvée à l’intérieur d’une tige de bambou. Exilée de son royaume lunaire, elle est élevée par un couple de paysans chargés de lui donner une éducation digne de son rang. Surnommée « pousse de bambou », la fillette grandit vite, trop vite et se voit attribuer de lourdes responsabilités royales. Enfermée dans une prison dorée, elle rêve de retrouver ses amis d’enfance et la nature qu’elle chérit par dessus tout. On connaît Isao Takahata pour sa complicité légendaire avec Hayao Miyazaki, cofondateur du studio Ghibli. Contrairement à son confrère, Takahata n’est pas dessinateur. Il n’en reste pas moins que les styles graphiques du réalisateur demeurent parmi les plus inventifs. À travers ce conte entre ciel et terre, le réalisateur du célèbre Tombeau des lucioles entonne un hymne à la liberté qui nous va droit au cœur. [Mariama Balde]
8. A Touch of Sin (Jia Zhangke, Chine/Japon/France)
Sorti tardivement sur le territoire suisse, A Touch of Sin fascine tout d’abord par son aboutissement esthétique. Chacun des quatre segments du film jouit d’un sens du cadrage qui pulvérise la servitude visuelle empoisonnant la production dominante. Avec sa caméra mobile, Jia Zhangke offre autant de plans(-séquences) que de chocs à l’œil et au cœur. Le réalisateur dépeint des individus compressés par le gouvernement et la société, dont la frustrante déception grandit et mène à des événements inévitables. Mais A Touch of Sin c’est aussi un film de cinéma ; ainsi, dans sa lutte désespérée, le protagoniste du premier segment rappelle les héros des films de cape et d’épée chinois (genre auquel le titre fait référence, en citant A Touch of Zen de King Hu), tandis que la femme désœuvrée de la troisième partie renvoie à la figure vengeresse et symbolique de tout un pan des cinématographies d’Asie. Interdit dans son pays, A Touch of Sin représente un film quelque peu assommant, mais tout autant courageux et assurément brillant. [Loïc Valceschini]
7. Under the Skin (Jonathan Glazer, Royaume Uni/USA/Suisse)
Under The Skin est un film rare, visionnaire, novateur et précurseur. Un film qui, derrière un récit faussement fantastique, détourne l’image sex-symbolique de Scarlett Johansson pour, au final, se révéler bien plus féministe et pessimiste qu’il n’y paraissait. Jonathan Glazer atteint ici un sommet de perfection narrative et visuelle, et encore plus rafraîchissant et scotchant, que cette perfection n’avait plus été vue sur écran depuis la mort de Stanley Kubrick. Under The Skin remet ainsi quelques pendules à l’heure et nous rappelle que le cinéma est un médium bien plus riche qu’on ne le pense ; sa relative jeunesse offre de nombreuses possibilités qui restent encore à inventer. Et pour les inventer il faut les trouver. Et pour les trouver, il faut expérimenter et prendre des risques. Il faut aller au-delà. C’est là qu’Under The Skin est allé. C’est là qu’il a trouvé la force et la subtilité de se glisser sous notre peau et d’y laisser une marque désormais indélébile. [Florian Poupelin]
6. Interstellar (Christopher Nolan, USA/Royaume Uni)
Batman, Inception, Le Prestige… Christopher Nolan enchaîne avec succès les superproductions hollywoodiennes depuis une dizaine d’années. Mais si le box office d’un film ne dit absolument rien de sa qualité, il ne faut toutefois pas chercher bien loin pour constater que l’œuvre de Nolan, son écriture, sa forme et sa technique reposent depuis ses débuts sur une exigence et une intelligence telles qu’elles ne peuvent aboutir qu’à un cinéma parfaitement maîtrisé. C’est certainement la même impression qui se dégage d’Interstellar, brillant mélange entre une épopée spatiale aux confins de l’univers et l’histoire du lien profond entre un père (Matthew McConaughey) et sa fille (Jessica Chastain). Malgré leur tonalité épique, les ressorts narratifs du film restent profondément ancrés dans des enjeux humains et émotionnels qui fonctionnent à l’échelle de ses seuls personnages. Et si Interstellar convoque de nombreuses théories d’astrophysique et des mécanismes de dilatation du temps pour en faire le socle de son récit, ce qui est véritablement à l’œuvre ici est peut-être moins le besoin de franchir des distances interstellaires pour sauver l’humanité que celui de se transcender soi-même pour continuer à nourrir un espoir, celui de rester proche de ceux qu’on aime. [Arnaud Mittempergher]
5. Sils Maria (Olivier Assayas, France/Suisse/Allemagne)
« L’éternel sablier de l’existence ne cesse d’être renversé à nouveau – et toi avec lui, ô grain de poussière de la poussière! » Le Gai Savoir
En brossant le portrait de Maria Anders (Juliette Binoche), cette actrice qui accepte de retourner sur les planches pour interpréter le rôle d’une femme mûre à laquelle elle avait donné la réplique étant jeune, Olivier Assayas place son film sous le signe de l’éternel retour de Nietzsche. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’essentiel du film se situe à Sils Maria, village grison dans lequel le philosophe aurait eu l’intuition de ce fameux concept. Multipliant les jeux de perspectives, les reflets et les résonances (aussi bien visuels que temporels) entre Maria Anders, son personnage, son assistante (Kristen Stewart) et la jeune vedette Jo-Ann Ellis (Chloë Grace Moretz) – qui reprend le rôle que Maria campait il y a 25 ans -, le cinéaste explore les mystères du temps en déployant de nombreuses mises en abyme. Plus subtil que la simple analogie entre l’actrice et son personnage, Sils Maria fait montre d’une écriture vertigineuse et tisse des liens complexes entre tous ses personnages. Véritable film d’actrices (quel trio !) sur les actrices et les coulisses de la profession, Sils Maria n’a pas fini de nous hanter, à l’image de ses magnifiques vues des montagnes grisonnes et de son illustration des cycles du temps. [Thomas Gerber]
4. Le Vent se lève (Hayao Miyazaki, Japon)
2014 aura été une année placée sous le sceau Ghibli à bien des égards. Les deux pionniers du studio signent leur dernier chef-d’œuvre respectif, la relève ne remporte pas le succès escompté. Ghibli sera assurément un studio de second plan en 2015, Miyazaki et Takahata ne souhaitant plus toucher au format du long-métrage. Pourtant, The Wind Rises et Kaguya marquent assurément l’apogée artistique des deux auteurs. En s’attaquant pour la première fois à un sujet éminemment personnel, Miyazaki nous parle de sa vie, de sa famille, des difficultés traversées et signe donc un véritable film testament. Il aura fallu attendre son dernier film pour que le réalisateur nous laisse entrer dans son intimité. De l’amour absolu qui se dégage de chaque plan, Miyazaki brode une estampe de la vie, de sa vie, un tableau aux milles visages qui trouve sa réponse en cette seule réplique : « Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! ». Nous allons effectivement tenter de vivre en 2015, et nous rappeler que Miyazaki et son art forgent nos vies de cinéphiles depuis plus de trente ans. [Nathanaël Stoeri]
3. Her (Spike Jonze, USA)
Avec Her, Spike Jonze signe la plus belle romance des années 2010 sur fond de science-fiction et offre à Scarlett Johansson l’un des plus beaux rôles de sa carrière, sans que celle-ci n’apparaisse à l’écran! Se déroulant dans un futur proche, l’histoire soulève la question de l’évolution de nos émotions face à une avancée technologique déroutante. Joaquin Phoenix incarne un geek en deuil de sa femme qui finira par tomber amoureux de la voix de son système d’exploitation informatique – comprenez un Siri 2.0 pouvant ressentir des émotions. Her est époustouflant à tous les points de vue : le film possède un scénario intelligent ayant remporté un Golden Globe et un Oscar, des acteurs au sommet avec une Scarlett qui déchaine des passions rien qu’au son de sa voix, une mise en scène bourrée de charme et d’humour, ainsi qu’une photographie rétro et soignée, qui détone avec les décors futuristes. [Alexandre Caporal]
2. Mommy (Xavier Dolan, Canada)
Film événement ayant raflé le prix du jury à Cannes, le drame québécois s’est imposé comme un véritable coup de poing émotionnel, provoquant l’adulation des critiques et des spectateurs. Racontant l’histoire d’une veuve à qui l’on confie la garde de son fils de 15 ans au comportement violent et impulsif, Mommy est une ode à la femme des temps moderne sur fond de drame familial. Face à une telle intensité cinématographique, difficile d’en ressortit autrement que grandi et abasourdi. Anne Dorval est exquise et le jeune Antoine Olivier Pilon déjà cité comme l’un des talents de 2014 à surveiller de près. Affichant l’étendue de son potentiel, le réalisateur Xavier Dolan prouve sa capacité à toucher un public plus large et affirme une maturité impressionnante du haut de ses 25 ans. Bien que Mommy figure dans presque tous les tops de l’année, le Daily Movies n’a pas boudé son plaisir et lui accorde une deuxième place dans son classement. [Alexandre Caporal]
1. Boyhood (Richard Linklater, USA)
La prouesse de Boyhood ne réside pas tant dans son exploit technique – c’est-à-dire en ayant réussi à filmer, pendant plus de dix ans, les mêmes personnages, que l’on voit donc grandir et vieillir à l’écran –, mais bien dans son approche du temps. À la fois laconique et faussement anodin, le récit nous emmène dans la spirale merveilleuse de la vie, où tout semble précieux de par le caractère éphémère de ce qui constitue cette dernière. Sans ne jamais insister dans la contextualisation temporelle de son film, Richard Linklater se sert de la culture populaire et de la politique (américaine) pour indiquer le passage du temps. Ambitieux, le recours aux nombreuses ellipses permet au film de flotter sur la chronologie des personnages, illustrant un fragment du destin de Mason, ce garçon introverti et artistique, ainsi que celui de ses proches. Avec une apparente simplicité et une sincérité sidérante, Boyhood s’impose comme l’une des œuvres les plus fortes de ces dernières années, raison pour laquelle il trône dans le top 10 de la rédaction. [Loïc Valceschini]
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