Tina Turner est connue de tous, c’est indéniable. Adulée ou méprisée, reconnue comme talentueuse sans aucun doute, elle porte un lourd fardeau qui n’est pourtant pas de son fait. Comme des milliers de femmes dans le monde, Ana May Bullock tombe sous le charme d’un homme charismatique, créatif et au caractère autoritaire : Ike Turner le fameux musicien de soul et rythm’n’blues dans les années 1960. Naïve et ignorante de bien des aspects de la vie et des réalités du monde du spectacle, Ana May se laisse emporter dans une relation toxique. Ike Turner n’est pas un ange d’altruisme. Il utilise bon gré mal gré tous ceux qui le côtoient pour arriver à réaliser son ambition artistique. Certes, il est reconnu et célébrer en tant que guitariste génial de sa génération, comme compositeur et comme fin manager, mais son côté sombre coûte beaucoup plus à son entourage professionnel et intime qu’il ne le devrait. Tina Turner, puisque c’est ainsi que son Ike devenu son mari, la rebaptise, apprend entre sang et larmes le métier de chanteuse et la danse. Elle fait partie de ce sordide et séculaire club de femmes abusées, rabaissées et battues de bien des manières par son mari. Aux yeux de la loi, ce traitement est répréhensible, à ceux de la société, il demeure un tabou. Les aînées lui apprennent à encaisser, à maquiller à se réfugier dans le travail et la vie de famille, très formatée encore à l’époque. Après des années à résister à l’envie de mourir, tiraillée entre les responsabilités sociales et familiales bien plus que professionnelles, Tina décide de se révolter.
Désormais, elle rendra les coups, ce qui ne manque pas de déstabiliser son mari. Le divorce et la renaissance sont salvateurs à bien des niveaux pour cette femme que l’on a par trop souvent tenter de réduire en esclavage. Malgré le fait, qu’elle ne demande rien d’autre que de conserver son nom de scène, la société et les médias n’auront de cesse de lui parler des maltraitances subies, de la carrière de son mari et de ces débuts avec lui. Il est extrêmement compliqué de faire le deuil de traumatismes importants ou non. Alors lorsque l’on vous en parle à intervalles réguliers, c’est comme si le travail quotidien que l’on effectue pour tourner la page est réduit à néant à chaque évocation. La pléthore de personnes qui ont la chance de ne pas avoir vécu un ou plusieurs traumas ne s’en rendent pas compte. Il est donc important de le dire. Tina Turner aimerait enfin que l’on arrête de lui parler de ces fameuses années. Il est difficile de garder son calme et sourire devant ce genre de questions interviews après interviews. En professionnelle confirmée, Tina Turner le fait pourtant. C’est tellement récurrent, que c’est ce qui ressort hélas de cette documentaire minute après minute.
Tina Turner est une artiste accomplie et indépendante qui n’a en réalité pas eu besoin qu’on lui tienne la main bien longtemps pour exceller. Il serait justice de lui reconnaître enfin son identité et tout le travail qu’elle a fait. Comme bien d’autres femmes, pour ne pas dire toutes, les réalisations sont atténuées, méprisées, excusées, prétextées ou attribuées à un homme, la société et la morale ainsi rassurées le cours des choses peut reprendre son train-train et les hommes comprennent alors mieux les lumières projetées sur une femme. À l’heure actuelle entre féminisme extrême ou pas, entre féminicide extrême ou pas, les femmes ne sont, à bien y regarder, toujours pas reconnues dans leur intégrité et donc à leur juste valeur. Cela même avec toutes les meilleures intentions du monde.
Ce documentaire retrace avec simplicité et authenticité sans tomber dans du voyeurisme navrant, la vie publique du femme qui n’avait aucune arme pour affronter ce monde. Une belle victoire sur le temps et les écueils. Deux heures de motivation, de courage et de combats récompensés. Avec le film éponyme, nous ne pouvons que mieux apprivoiser la reine du R’N’B, la Toxic Queen de Tommy.
Tina
US – 2020 / 2h 03min / Documentaire, Musical
De Daniel Lindsay, T.J. Martin Par Daniel Lindsay, T.J. Martin Avec Tina Turner, Angela Bassett, Oprah Winfrey
Universal Pictures