Les documentaristes suisses Enrico Pizzolato et Gabriel Tejedor n’ont pas hésité pas à aller au bout du monde pour parler des goulags. Gabriel Tejedor revient avec nous sur cette aventure.
– Quelle est l’origine du projet ? Qu’est-ce qui vous a amené dans cette région ?
– J’ai rencontré l’artiste peintre André Sugnaux lors d’un reportage que je devais faire. Quand je suis arrivé dans sa ferme, dans la campagne fribourgeoise, il était entouré d’objets étranges : vieux vêtements, couverts rouillés, dessins déchirés, outils… Il m’a dit qu’il les avait ramenés de ruines de camps du goulag. Et qu’il comptait ainsi préserver des traces des goulags, des traces des gens qui y ont vécu, qui y sont morts… Il s’inspire de ces objets dans ses peintures et dessins. L’ambiance dans la pièce qui lui sert d’atelier était vraiment chargée. Ce combat contre le temps, contre l’oubli m’a ému. On a longtemps discuté, on s’est revus. Puis j’ai entraîné Enrico Pizzolato dans l’aventure. Il s’est montré enthousiaste. Alors on a décidé de suivre André Sugnaux sur place, dans les ruines des camps, dans l’extrême Orient russe.
– Quelle est l’atmosphère sur cette route ?
– On se sent tout petit. Les distances sont énormes : la route fait une boucle de 2000 kms, la voie est souvent bouchée par des glissements de terrains, des éboulements…. Les véhicules que l’on croise sont démesurément grands, car ils sont destinés à l’extraction d’or dans les mines. Les habitants que nous avons rencontrés sont incroyablement accueillants, gentils, bienveillants… Avec eux, pas de chichis : en 10 minutes ils peuvent raconter des épisodes tragiques de leur vie, ou au contraire rire avec vous comme si on se connaissait depuis longtemps. Il y a aussi beaucoup de saisonniers qui travaillent dans cette région, la Kolyma, quelques mois et rentrent chez eux ensuite. Eux sont évidemment moins attachés au lieu, moins « typiques ». Ils connaissent l’histoire de la région, mais souvent sans plus. Ils sont là pour gagner de l’argent.
– Les habitants se souviennent de cette histoire tragique mais les traces (prison, camps) s’effacent … Comment est abordé cette partie de la « grande histoire Russe » ?
– Difficile à dire. Je crois que l’histoire enseignée aujourd’hui dans les écoles en Russie aborde le Goulag, la répression, les famines provoquées par Staline… Ces atrocités ont concerné tellement de monde qu’il serait impossible de passer l’ensemble sous silence. Toutefois, à plusieurs reprises, on nous a demandé pourquoi l’histoire de la Kolyma nous intéressait. Il y a sur place une volonté d’aller de l’avant et d’offrir aux jeunes un avenir meilleur. Certains aimeraient faire de la Kolyma une terre de tourisme nature (chasse, pêche, sports…) et voient d’un mauvais œil qu’on associe encore leur région à ce qui s’y est passé. Mais c’est impossible de faire autrement : 1 million de personnes furent déportés dans la Kolyma !
– Est-ce que les survivants des camps ont facilement parlé ?
– Il reste de moins en moins de survivants des camps. Constatant cela, certains craignent qu’on oublie. Donc nous n’avons pas eu de mal à ce qu’ils nous racontent.
– Quelles sont vos influences cinématographiques ou documentaires ?
– Comme on a réalisé presque tout le film à deux, je ne vais pas me risquer à avancer des noms de films ou réalisateurs, sans quoi mon collègue m’en voudrait (rires).
Allez sur le site du film pour découvrir les prochaines projections dans la région !
La Trace
D’Enrico Pizzolato et Gabriel Tejedor
Earthling Productions
Sortie le 01/04