Un sublime polar crépusculaire qui prouve que le cinéma de genre a sa place dans le paysage cinématographique transalpin.
Adapté du roman éponyme de Carlo Bonini et de Giancarlo De Cataldom, « Suburra » narre une lutte criminelle et politique acharnée pour la conquête d’Ostie, le port situé à l’embouchure du Tibre à 35 km au sud-ouest de Rome, dont un immense projet immobilier veut faire le Las Vegas italien. Le titre du second long-métrage de Stefano Sollima (après l’excellent « A.C.A.B.: All Cops Are Bastards »), dont l’action est située en 2011 dans une Italie affaiblie par son instabilité financière et politique, fait explicitement référence à Subure, le quartier pauvre et populeux le plus malfamé de la Rome antique. Au travers de ses nombreux personnages, représentant différentes fonctions (politique, religieuse) et classes de la société italienne contemporaine, Sollima dresse le portrait peu glorieux d’une ville (d’un pays ?) empêtrée dans un système de corruption généralisée et incapable d’évoluer.
Si « Suburra » épouse la structure d’un film choral mafieux, il est surtout une œuvre sur la lutte pour le pouvoir, qu’il soit politique, criminel, financier ou religieux. Principalement connu pour son travail sur les séries « Romanzo Criminale » et « Gomorra », deux épopées mafieuses inspirées des films éponymes à succès, Stefano Sollima n’essaie jamais de renier ses origines télévisuelles. Au contraire, le cinéaste romain met toute son expérience acquise sur le petit écran au profit de sa seconde réalisation cinématographique. « Suburra » jouit ainsi d’une narration chapitrée très maîtrisée, aboutissant à une apocalyse annoncée, et d’un développement exemplaire de nombreux personnages principaux solidement interprétés par d’excellents acteurs majoritairement romains (Pierfrancesco Favino, Elio Germano, Alessandro Borghi et Claudio Amendola). La réussite de ce polar ne se limite pas uniquement à la brillante écriture de son quatuor de scénaristes (Stefano Rulli, Giancarlo de Cataldo, Sandro Petraglia et Carlo Bonini), elle se retrouve également dans la mise en scène élégante et audacieuse de Sollima et dans la sublime photographie de Paolo Carnera, variant constamment selon les personnages et les lieux de l’action. Les cadres précis sont également magnifiés par une bande sonore composée essentiellement de titres issus des albums du groupe de musique électronique français M83.
Après avoir été sublimée par la caméra de Paolo Sorrentino , il y a plus de deux ans, dans « La grande bellezza », la Ville Éternelle est ainsi magnifiquement noircie par le fils du défunt Sergio Sollima (« Colorado », « Le Dernier Face à face »), grande figure du cinéma d’exploitation transalpin des années 60 et 70. Polar crépusculaire de toute beauté, « Suburra » s’impose comme l’une des meilleures réussites de genre de ces dernières années. Le deuxième film de Sollima fils prouve ainsi que le cinéma de genre italien peut encore exister dans une industrie cinématographique polluée par des comédies populaires formatées et évincée par les productions télévisuelles. La réussite artistique de « Suburra » démontre également que le septième art transalpin ne se limite pas uniquement aux œuvres auteurisantes médiatisées de la trinité cannoise (Nanni Moretti, Paolo Sorrentino et Matteo Garrone) et, qu’à l’image de Stefano Sollima, qu’il regorge de talents méconnus… Qui a dit que le talent n’est pas héréditaire ?
Suburra
De Stefano Sollima
Avec Pierfrancesco Favino, Elio Germano, Claudio Amendola, Greta Scarano
Praesens Film
Sortie le 09/12