Si ce monument désuet à la gloire des hommes-poissons, des savants fous et des acteurs cabotins bénéficie d’un minuscule statut culte aux États-Unis et au Japon, il semble en revanche avoir sombré dans les tréfonds de l’oubli par chez nous, incitant l’auteur de ces lignes à enfourcher son cheval de bataille pour s’en aller pourfendre une aussi scandaleuse injustice.
AMERICANISER LE PRODUIT
L’intrigue est de celles qui permettent aux travailleurs surmenés de ménager leurs neurones après une rude journée de labeur : au cours d’une conférence de presse visant à présenter son dernier modèle de torpille sous-marine, la Navy américaine procède à un tir, retransmis en direct sur une télé devant un parterre de journalistes.
Soudain, une étrange silhouette palmée traverse furtivement l’écran. Mais… quoi que pour ? Pendant que leurs collègues se perdent en conjectures, les reporters Ken (Sonny Chiba) et Jenny (Peggy Neal) décident d’aller faire un peu de plongée sur les lieux du test. Ce qu’ils découvriront propulsera le spectateur sur les crêtes du n’importe quoi…
Dans les années 60, pour pallier les difficultés que rencontrent leurs productions pour s’exporter sur le juteux marché occidental, les Japonais entreprennent d’américaniser leurs films directement à la source. Pour ce faire, ils tournent à la fois avec des acteurs occidentaux et japonais, et réalisent parfois deux versions d’un même film : l’une pour le marché asiatique, l’autre destinée au marché occidental.
Ici, en dehors des cascadeurs, figurants et autre menu fretin, la partie nippone du casting se résume peu ou prou à la présence de Sonny Chiba (future vedette du cinéma d’action nippon), consciencieusement noyé au milieu d’une foule d’acteurs caucasiens, probablement recrutés à peu de frais dans les bases militaires américaines. Car comment expliquer autrement la présence de ces « acteurs » aussi catastrophiquement drôles ? Jouant comme s’ils étaient frappés de démence, faisant rouler leurs yeux dans leurs orbites, grimaçant leurs répliques à s’en décrocher la mâchoire, tous compensent leur manque de métier par une générosité admirable.
Par bonheur, les dialogues sont au diapason de l’interprétation. On retiendra entre autres les séquences en sous-marin où, sans doute pour donner du crédit à l’ambiance U.S. Navy, chaque ordre clamé par le capitaine est systématiquement répété par la moitié de l’équipage avant d’être exécuté (par exemple, le capitaine dit « virez à tribord », puis le second répète « virez à tribord » puis un sous-fifre, ad nauseam). Ces séquences se révèlent d’une redoutable bêtise. D’une part, parce que quand deux mètres à peine séparent le commandant de l’exécutant, la présence d’intermédiaires pour relayer l’ordre paraît pour le moins superflue. D’autre part, parce qu’en situation d’urgence, tout ce processus devient magistralement absurde (du genre « colmatez la brèche ! » ou « évitez cette torpille ! »).
MUTANTS MITEUX
Mais le clou du spectacle réside dans chaque apparition des mutants mi-hommes, mi-poissons créés par l’infâme Dr. Moore, qui donne l’occasion de rire tout son soûl : rigoureusement inexpressifs, d’une laideur à faire fuir un aveugle (ils louchent !), leur texture présente cette rigidité suspecte propre aux costumes en caoutchouc, contraignant les malheureux acteurs engoncés à des mouvements effroyablement lents et patauds. Détail amusant, les créatures amphibies du Dr. Moore, tels des robots multifonctions, sont contrôlées via un curseur avec trois positions : Travail / Combat / Repos. Le nec plus ultra de la technologie cyborg, ma bonne dame !
En somme, et comme le laissait augurer son titre ronflant, « Robots 2000, Odyssée sous-marine » est une œuvre au charme kitsch d’une candeur rafraîchissante. Un mélange de film de monstres et de S-F rétro qui fleure bon les essences musquées du serial et des romans pulp à quat’sous (le scénario est d’ailleurs tiré d’un livre de Masami Fukushima qu’on rêverait de voir traduit en français). Un petit bijou merveilleusement apte à pourvoir en délices l’amateur de mauvais films sympathiques.
[Régis Autran]