Quentin Dupieux, mieux connu des fans d’électro sous le pseudonyme de « Mr. Oizo », livre enfin avec « Réalité » une œuvre suffisamment accessible pour être défendable. De « Nonfilm », qui le fit connaître dans les milieux fermés des festivals underground, à « Wrong Cops», délire de cinéaste un peu trop hermétique, le réalisateur français n’a jamais cessé de cultiver le n’importe quoi et le non-sens. Bien installé aujourd’hui dans le petit monde des cinéphiles branchés, le trublion peut se permettre à peu près toutes les fantaisies. Quitte à déraper et faire n’importe quoi. C’est donc avec un certain plaisir qu’on le voit retrouver ici un peu de rigueur, se plier à certaines règles scénaristiques tout en gardant sa singularité. « Réalité » est peut-être même son meilleur film. Le plus drôle en tout cas, et même, avec son intrigue qui tient presque la route, « Réalité » se rapproche du cinéma de David Lynch. L’histoire est farfelue : un réalisateur, campé par un Alain Chabat très à l’aise dans cet univers horrifico-comique et à qui le film doit beaucoup, est contraint par un producteur de trouver le cri le plus flippant de l’histoire du cinéma s’il veut voir accepté le financement de son prochain projet. Ce scénario-prétexte est surtout l’occasion pour l’auteur de faire juxtaposer plusieurs univers, jouer avec différents niveaux de lecture et tordre réalité et fiction. Sans méchanceté, avec un sens de l’humour et de l’absurde tout à fait maîtrisé, sans même avoir l’air d’y toucher, il dresse en filigrane le portrait d’une Amérique qui aurait perdu ses repères. C’est intelligent, malicieux et on ressort du film avec la curieuse impression d’avoir été l’objet d’une délicieuse farce.
Réalité
De Quentin Dupieux
Avec Alain Chabat, Jonathan Lambert, Elodie Bouchez
Praesens Films