« The Deer Hunter » fut diffusé ce dimanche lors du festival Rencontres 7ème Art Lausanne, suivi d’une rencontre avec Christopher Walken. Ce long-métrage a su traverser les âges et demeure un des films les plus emblématiques des années 1970.
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n ne peut parler des films sur la guerre du Vietnam sans mentionner le légendaire « The Deer Hunter » (« Voyage Au Bout de l’Enfer » en version française). Réalisé par Michael Cimino en 1978, ce film est considéré par beaucoup comme étant un des premiers films de guerre mettant en scène des humains avec des émotions et non pas simplement des soldats qui accomplissent leur dure besogne. « The Deer Hunter » nous montre non pas réellement les horreurs de la guerre (oui, les scènes de guerre sont horribles, mais je vais expliquer ce que j’entends par là plus loin dans l’article), mais plutôt à quel point ces horreurs transforment les hommes qui les côtoient.
« The Deer Hunter » raconte l’histoire de trois hommes, Mike (Robert De Niro), Nick (Christopher Walken) et Dave (John Savage), tous trois employés dans la même aciérie, qui sont envoyés pour combattre au Vietnam. Le long-métrage est découpé en trois parties : la première nous montre ces hommes, leurs amis et leurs amours avant la guerre ; partie qui peut être jugée un peu longue pour certaines personnes, mais qui permet néanmoins de planter le décor. Le trio et leur groupe d’amis (dont Meryl Streep, John Cazale et George Dzundza) ont des liens très forts et plus l’on avance, plus l’inéluctable devient présent et invisible à la fois ; leur départ est imminent, tous semblent l’appréhender d’une certaine façon, mais aucun n’en parle. Si les personnages semblent aussi proches, c’est probablement grâce à Cimino qui a fait passer les acteurs une dizaine de jours ensemble pour leur permettre de créer des liens crédibles. Comme l’a raconté Walken lors de la rencontre après le film, il leur avait montré une photo d’un groupe d’enfants en leur disant, « c’est vous » ; comprenez là qu’il s’agissait d’une façon de leur dire qu’ils devaient agir comme des amis de longue date. La deuxième partie se passe au Vietnam et les trois hommes se retrouvent dans un camp de prisonniers où les Vietnamiens s’amusent à jouer à un jeu sadique de roulette russe avec eux. La troisième et dernière partie du film, évidemment, nous montre qu’il n’existe pas de gagnant dans un tel jeu : juste des perdants un peu plus chanceux.
Le film a été autant salué que critiqué et je pense qu’il revient à chacun d’en faire son interprétation. Salué pour ses personnages attachants et les performances bouleversantes des acteurs qui les incarnent, critiqué pour sa tendance à ne montrer que le point de vue des Américains et à représenter les Vietnamiens comme des monstres sans cœur. D’un point de vue historique, il est presque certain que les Vietnamiens n’ont jamais joué à la roulette russe avec leurs prisonniers durant cette guerre (aucun rapport ne le mentionne en tout cas), et c’est aussi ce point qui a lourdement été critiqué. Cependant, selon les dires de Cimino, faire un film politique ou historique n’a jamais été son intention et la roulette russe est un symbole absolument parfait pour parler de la guerre : une chance sur six de mourir, six chances sur six de ressortir du jeu avec une partie de soi en moins.
Une fois que l’on interprète ceci comme une métaphore et que l’on comprend que le film tourne finalement plus autour de l’incapacité des être humains à sortir indemnes des situations hautement stressantes que du comportement des Vietnamiens envers les Américains, il est possible de voir « The Deer Hunter » comme le chef-d’œuvre qu’il est. C’est pour cela qu’il faut rester critique, même en regardant des monuments du cinéma : la perfection n’existe pas et remettre les choses dans leur contexte est extrêmement important. Rien de très étonnant à ce qu’un film de la fin des années 1970 donne des informations erronées sur une guerre qui vient de se terminer (la guerre du Vietnam se termina en 1975) à une époque où les informations ne circulaient pas aussi facilement qu’aujourd’hui. Ce qui est étonnant et remarquable par contre, c’est qu’un film de la fin des années 1970 montre trois personnages masculins vulnérables et au bord du gouffre à une époque où les vétérans n’avaient personne à qui parler de leurs traumatismes.