Macaigne, c’est LE nouveau nom à connaître pour parler cinéma et/ou théâtre contemporain. Son premier long-métrage « Pour le réconfort » est issu de la fameuse sélection ACID de Cannes, sélection de films indépendants qui favorise leur diffusion, et est résolument une œuvre différente, hors-normes, inhabituelle. À la découverte d’un diamant « brut »…
Pascal et Pauline, frère et sœur, l’un au Mexique l’autre à New York, retournent dans la maison de leur enfance, pour laquelle ils n’ont pas payé les traites. Ils retrouvent leurs amis du coin, Joséphine qui plante des arbres, Emmanuel qui veut construire une maison de retraite à la place de la maison familiale de la fratrie, Laure qui est peu présente, mais semble être une bombe à retardement, et Laurent le « bon type » soumis qui dit oui à tout. Ils discutent, débattent, se querellent, parfois très fortement, en remettant en cause les traditions françaises héritées du passé, la richesse, la pauvreté, l’argent, la vie et le futur. Le premier long-métrage de Vincent Macaigne apparaît alors comme un diamant brut, un diamant non travaillé, non taillé, une pierre précieuse pleine de mystère. Et cela résume tout le film, toute la démarche qui le précède et le construit, en bien, comme en mal.
En bien, d’abord, car on est face à un cinéma d’auteur totalement assumé, une recherche d’un langage cinématographique propre, des expérimentations audiovisuelles lourdes, mais fructueuses. Macaigne revendique le côté brut du rendu final du film et ne ménage pas son spectateur : l’équipement technique lors du tournage est limité, une petite caméra numérique et une prise de son à la perche, pour laquelle les acteurs se relaient. Peu de budget et surtout une envie de faire simple, de faire « en famille », Macaigne travaille avec des acteurs qu’il côtoie depuis le Conservatoire et avec lesquels il a l’habitude de travailler. Encadrés par un format presque carré, ces comédiens ne sont évidemment pas fardés ni superficiels, on reste dans la simplicité, et dans le cri, comme toujours chez le metteur en scène, bien que celui-ci préfère le terme de « pensée forte ». Du cri donc, de la dénonciation, de la colère, le rejet des traditions de la France profonde, de la facilité d’être riche quand on reçoit l’héritage d’un parent, de la difficulté de se « démerder » comme on peut pour vivre un jour après l’autre. Les personnages sont foncièrement antagonistes et il ne peut ressortir de leur discussion que virulence et désaccords. Pour Emmanuel, l’avenir, c’est la vieillesse, les maisons de retraite, un marché inépuisable, alors que pour Joséphine, c’est les plantes, les arbres, la forêt. Le cadrage les capte souvent de très près, avec une caméra posée lourdement sur un trépied fixe, pas de mouvements de caméra pour flatter l’œil du spectateur ou faciliter sa compréhension de la narration. Une certaine théâtralité s’en dégage, on est comme face à des tableaux, impossible de regarder ailleurs, on nous force à tout voir, pas d’issue de secours. Le montage est sec, bien que les plans soient généralement très longs, laissant ainsi à chaque personnage le temps de faire son plaidoyer pour sa France à lui. Il faut s’accrocher pour suivre, et, surtout, ne pas lâcher. Un magnifique diamant brut donc, qui propose, avec toutes ses aspérités, une unicité et une originalité qui renouvellent le paysage du cinéma indépendant, en bien.
… mais en mal aussi parfois, car cette rugosité peut devenir pénible, et l’effort fourni par le spectateur n’est pas des moindre pour appréhender le monde tel que Macaigne le présente. Certains moments sont particulièrement complexes à saisir à cause d’exercices de style atypiques : des couleurs vives envahissent l’écran, de la fumée, des corps se détachent, de la musique très forte, plus de dialogues, on pense surtout à cette scène en soirée dans un festival de musique électronique, une scène fort hétéroclite qui en fait un peu trop malgré tout. Il est également regrettable que la prise de son ait été autant « amateur », car il est parfois compliqué de comprendre les dialogues, ce qui est dommage, évidemment, pour un film avec des dialogues. Ces dialogues prennent également le pas sur l’histoire principale du film, et on tombe parfois dans le discours politisé qui prend des airs de campagne électorale, on en est presque à savoir qui des six personnages est celui qui a le meilleur programme politique pour cette France dans laquelle tout est au plus bas.
En conclusion, ce « diamant brut » n’est pas un film facile à appréhender, et en aucun cas un film à aller voir pour se détendre et se divertir. On en ressort un peu déboussolé, par tout ce qui a été vu et tout ce qui a été dit, un maelstrom obscur dont on parvient quelques fois à extirper le sens, si sens il y a. Après avoir vu « Je suis un pays », sa pièce jouée au Théâtre de Vidy en septembre 2017, on commence à comprendre le style Macaigne, encore en train de se chercher au niveau esthétique tout en ayant un discours on ne peut plus clair, sans nécessité que les deux fonctionnent conjointement. Il sait ce qu’il veut dire, reste à savoir comment il va le faire, et si le prochain chaos qu’il créera sera autant « brut » ou plus affiné.
Pour le réconfort
De Vincent Macaigne
Avec Emmanuel Matte, Pascal Reneric, Laure Calamy, Pauline Lorillard, Joséphine de Meaux, Laurent Papot.
UFO Distribution
01.11.2017 au cinéma