Après « Engrenages », « Baron Noir » et « Le Bureaux des Légendes », Canal + propose encore une nouvelle série originale de grande qualité.
Paris. 1899. Le président Félix Faure décède dans des circonstances restées célèbres (surtout dans les marges des manuels d’Histoire…), l’affaire Dreyfus répand le souffre sur la France, les ligues antisémites attisent la braise et l’anarchie règne dans les quartiers sordides de la capitale. Craignant un coup d’Etat, les autorités appellent Louis Lépine à la rescousse…
En quelques séquences, quelques plans iconiques et quelques dialogues finement ciselés, l’ambiance et les ambitions de la série sont posées. D’emblée, sur la forme, il est évident que son créateur Fabien Nury a une idée très précise de la charte visuelle et sonore de son œuvre. Beaucoup de plafonds bas, de planchers grinçants, de recoins sombres et d’espaces plein de bruit. Dès la première image, dès le premier râle moribond et jusqu’au bout, la série baigne dans une ambiance crépusculaire et une atmosphère de fin du monde, jusqu’au dernier souffle. Les réalisateurs mandatés par l’auteur (Julien Despaux, Frédéric Balekdjian) se sont ainsi surpassés à créer des images très sombres et contrastées, au plus proche des iconographies de l’époque.
Pour ce qui est du fond, Fabien Nury est bien décidé à respecter l’Histoire et entend bien lever le voile sur une période rarement exposée sur les écrans. Bien que le récent « J’Accuse » de Roman Polanski n’aille pas vraiment dans le sens de cette affirmation… En effet, la série, puisque son format de 8 épisodes le permet, va beaucoup plus loin dans sa peinture de la face cachée de ce que l’on nomme « La Belle Epoque ». Fabien Nury est un spécialiste de l’histoire et aime documenter ses œuvres. Il est reconnu dans le monde de la bande-dessinée (« Il était une fois la France », « La Mort de Staline » …) et avait déjà fait ses preuves en scénarisant la très bonne série de Kim Chapiron « Guyane ». Cette fois, sous couvert d’une enquête policière par ailleurs très prenante, il met en images et en relief une sombre période de l’Histoire de France. Un moment charnière où la gangrène raciste s’était propagée jusque dans les hautes sphères de L’Etat et où le pays a failli basculer dans l’extrémisme le plus crasse. C’est l’avantage que donne le format sériel sur le cinéma, il permet d’élargir le cadre, d’entrer dans les coulisses, multiplier les intrigues, les forces en présence et donner ainsi une image plus complète d’un sujet. Le film de Roman Polanski et « Paris Police 1900 » se répondent d’ailleurs très bien. L’un étant en quelque sorte la toile de fond de l’autre… et inversement. Les deux œuvres partagent d’ailleurs quelques personnages en commun. Tel le criminologue Alphonse Bertillon (campé par Mathieu Amalric dans « J’accuse » et par Christian Hecq ici), dont l’analyse graphologique a participé à la condamnation de Dreyfus et qui est ici un personnage central de l’intrigue.
Toutefois, la série de Fabien Nury, ne raconte pas « que » la Grande Histoire. Elle sait également tenir en haleine grâce à une enquête menée parallèlement par deux policiers aux méthodes radicalement distinctes. Une sombre affaire de valise remplie de morceaux de cadavre, retrouvée flottant sur la Seine et qui va les mener des abattoirs de la Villette aux grands salons parisiens en passant par les bureaux de police du préfet Lépine. Là encore, tout est vrai. L’affaire en question, qui n’a jamais été élucidée mais dont l’auteur propose ici un dénouement tout à fait plausible et bien sûr le personnage de Louis Lépine, connue un peu comme le père de la police moderne, celui qui a su voir l’importance du téléphone, créé les brigades cyclistes (appelées « Hirondelles »), compris l’utilité de la science dans le métier et surtout, tenté de donner une image respectable et bienveillante de la police… (comme quoi, on ne peut pas réussir sur tous les tableaux !). Le personnage est central et est apparu d’emblée comme une figure incontournable pour l’auteur de la série qui avoue « Historiquement, je ne pouvais pas trouver plus fort : Lépine, c’est comme le vieux shérif qu’on rappelle au moment de la crise et qui va affronter l’Al Capone antisémite ».
Et la production a prouvé qu’elle avait bien compris l’importance et l’enjeu du personnage en confiant le rôle au beaucoup trop rare et spécialiste des seconds rôles troubles Marc Barbé (« Trois Huit », « Petit Paysan », « Braquer Poitiers » …). L’acteur est d’un charisme et d’une prestance hallucinantes qui font que, même s’il n’a qu’une présence limitée, son personnage hante le récit et semble toujours là, au-dessus de tout, tapi dans l’ombre et prêt à surgir. La mise en scène joue d’ailleurs beaucoup de cette idée et aime théâtraliser ces apparitions. L’acteur n’est cependant que la cerise sur le gâteau d’une distribution principalement composée de figures peu connues. Certains reconnaîtront peut-être quelques visages familiers tels que celui de Anne Benoît (« Mon Cousin », « Lupin »), abjecte à souhait dans le rôle de la mère de deux politiciens antisémites, de Patrick d’Assumçao (« L’inconnu du Lac ») qui porte le favori et l’infâmie comme personne ou encore Christian Hecq dans celui de Alphonse Bertillon, cité plus haut. Soupape parfois comique, pas toujours heureuse mais presque nécessaire à la noirceur ambiante. Puis viennent ensuite la pléiade de nouvelles têtes, très rafraîchissantes et visiblement choisies pour leur talent plutôt que leur notoriété. Parce qu’il vaut mieux en citer peu que risquer d’en oublier plein, retenons surtout Evelyne Brochu dans le rôle primordial de la courtisane-espionne Marguerite Steinheil, « Pompe Funèbre » pour les intimes… Aperçue peut-être par quelques cinéphiles européens et émérites dans « Polytechnique » de Denis Villeneuve en 2009, l’actrice québécoise crève ici l’écran et est peut-être de tous, celle qui a la partition la plus complexe. Faible, forte, manipulée, manipulatrice, effrayante, terrorisée, secrète, affichée, séductrice, victime… elle doit fait croire à tout et y excelle avec brio. Elle est, sans aucun doute, la grande révélation de cette série !
Qui est, par ailleurs aussi, autant au niveau de la forme que du fond, la meilleure production audiovisuelle de cette jeune année 2021…
… pour le petit écran en tout cas. Mais vu les perspectives laissées actuellement au grand écran, autant profiter du meilleur de ce que les plateformes télévisuelles peuvent offrir !
Paris Police 1900
FR – 2021 / 8 épisodes (env. 50 min.)
Historique, drame, suspense
De Fabien Nury
Avec Marc Barbé, Jérémie Laheurte, Patrick D’Assumçao, Evelyne Brochu,
Thibaut Evrard, …
Canal Plus
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