Osama raconte l’histoire d’une fillette, de sa mère, de sa grand-mère et de toutes les autres femmes afghanes, lors de la prise du pouvoir par les Talibans.
Le film se passe dans un Afghanistan endeuillé par les guerres, dans une petite ville anonyme. Les premières séquences semblent tournées par un touriste, qui échange avec un petit mendiant. Grâce à ce procédé original, le jeune garçon adresse au « visiteur » placé derrière la caméra des informations utiles pour le spectateur. Par exemple ; lorsqu’on voit passer une manifestation pacifique de femmes en burqa, dans une rue voisine, il annonce que « les talibans vont bientôt venir les disperser ». Sa jeunesse, son visage lumineux et son magnifique sourire, contrastent avec cet éclat d’intelligence presque cynique.
Par la suite, les images « cinématographiques » vont prendre le relais et nous plonger dans le cœur du récit et des pérégrinations d’une mère et de sa fillette, qui se rendaient à l’hôpital, lorsqu’elles sont prises dans la manifestation. Un groupe de Talibans disperse brutalement au canon à eau ou arrêtent les manifestantes, qui revendiquaient humblement le droit de travailler. Par le biais des deux personnages principaux, le film raconte non seulement leur combat suite aux répressions qu’elles subissent, mais aussi celui de toutes les autres femmes, et ceci jusqu’à dans les actes les plus innocents du quotidien.
La mère et la fillette échappent à la rafle, mais lorsqu’elles arrivent à l’hôpital et que celle-ci demande sa paie, le directeur lui explique qu’il n’a plus d’argent. Elle va tout de même dans une chambre soigner un vieil homme agonisant, sur l’insistance de son fils désespéré. Le vieil homme ayant des difficultés respiratoires, elle veut lui donner de l’oxygène, mais la bonbonne est vide. Elle demande alors à sa fille de l’éventer, afin de le soulager autant que possible. Peu après arrivent des talibans qui chassent les femmes qui travaillent dans l’hôpital et en emmènent quelques-unes, dont une femme médecin d’une organisation internationale. Tous les malades et blessés, sont dès lors privés de soins parfois vitaux, et doivent quitter les lieux.
Lorsqu’un taliban arrive dans la chambre lors de la fouille, la mère se couvre rapidement d’une burqa. Pour lui éviter des ennuis, le fils déclare qu’il s’agit de son épouse, qui l’accompagne pour l’aider à soigner son père. Ainsi, en seulement quelques séquences, Siddik Barmak dénonce les conséquences directes d’un acte de répression stupide : la condamnation d’un centre de soin de toute manière étranglé par une récession financière et les conséquences désastreuses pour le personnel et les patients. Il montre également la solidarité et la générosité des plus modestes, qui n’hésitent pas à prendre des risques et jouer le peu de cartes qu’ils ont en main pour aider leur prochain.
Autre exemple de la dextérité du réalisateur à décrire une ambiance et une situation : la mère ne pouvant circuler sans être accompagnée par un homme, selon les nouvelles restrictions des Talibans, le fils du mourant lui rend service en la raccompagnant sur son vélo. La caméra suit leur course à hauteur de l’axe de la roue arrière du vélo avec, au premier plan, les pieds de la femme qui dépassent de la burqa. Joliment croisés, chaussées de petites sandales simples et féminines, ils se balancent doucement au rythme des cahots, le fond ocre et beige des rues du village. C’est un moment aérien et paisible, presque insouciant.
Et puis soudain, la roue s’arrête. On entend une voix hors-champ, très autoritaire, reprocher au cycliste d’être un idiot de transporter ainsi sa femme, car on voit ses pieds et « cela pourrait exciter les hommes ». L’interpellé s’excuse, acquiesce avec soumission, promet qu’il ne le refera plus. La burqa remue un peu et retombe sur les pieds, silencieusement. Le vélo reprend sa course. Ce n’est qu’un détail, mais l’ambiance change complètement ; à cause du malaise de la réprimande et de ces pieds, élément féminin et humain, désormais masqués par le tissu. Tant de choses sont dites avec si peu d’éléments.
Grâce à des informations judicieusement données par les dialogues le spectateur peut facilement comprendre le contexte socio-politique compliqué dans lequel s’insère l’intrigue. La caméra sait saisir toute la force des détails et trouver le meilleur angle pour révéler l’essentiel de chaque situation. Une symbolique presque surréaliste s’invite parfois, pour renforcer le discours, ou mettre des images sur ce que des mots ne pourraient plus décrire. Des faits anecdotiques exposés de manière simple et directe illustrent une situation que l’on devine globale.
Ce film décrit en lettres capitales les problématiques dominantes, telles que la répression faite aux femmes, la solidarité, l’absurdité du nouveau système répressif, la dégradation des conditions de vie, les condamnations sommaires, les endoctrinements des plus jeunes, etc. Il dénonce également en plus petits caractères, ou même en filigrane, les élans pédophiles de certaines personnalités politiques ou religieuses, la récupération du Coran à des fins politiques et militaires, et les petits combats quotidiens d’un peuple opprimé par un contexte économique et politique des plus défavorable, pour survivre et préserver sa dignité.
Sur le plan de la liberté d’expression, on voit bien le silence imposé aux individus et la restriction de l’information qui filtre hors frontières, par le biais d’un journaliste captif, attendant la sentence d’un tribunal sommaire. Ce journaliste incarnant vraisemblablement le réalisateur des images du début du film, avec le petit mendiant, on pourrait le considérer comme un alter ego du réalisateur et donc étendre, par synecdoque, la répression d’expression au cinéma afghan lui-même.
Osama
De Sedigh Barmak
Avec Marina Golbahari, Khawaja Nader, Arif Herati
Film vu à Locarno 2017