Le cinéma d’Alan Parker est un cinéma sans concessions.
Œuvre sans le sou, chef-d’œuvre du Cannes 1978, scandale raciste, « Midnight Express » sent le soufre aussi bien que son réalisateur. Mais tout s’explique, ou presque.
Le cinéma d’Alan Parker est un cinéma sans concessions. Parker expérimente, ose, transgresse parfois. Mais l’intelligence est telle, ici du moins, qu’on ne saurait rien lui reprocher sans mauvaise foi. C’est ce qu’on n’a pas toujours compris. Cannes. Standing-ovation. Favori pour la Palme d’or. Mais vient le scandale.
Pas un seul bon Turc dans le film. Turquie : nation de cochons. On se roidit, le film n’aura pas la Palme, et les procès viendront. N’importe : l’œuvre a pris son envol, et, non contente de marquer de ses griffes le public et la critique de son époque, elle fera date.
« Midnight Express » est ce qu’on pourrait appeler un phénomène. Deux marioles tout au plus auraient parié sur l’objet : le producteur-exécutif lui-même n’y croyait pas.
Deuxième métrage de Parker, et premier sous la férule des majors, distribution et scénariste inconnus, bande-son sortie de nulle part, budget d’à peine 2 millions de dollars… Rien de rien, à première vue, et le studio lui-même ne s’intéressait guère beaucoup au film.
Mais il se trouve que Parker allait débuter avec « Midnight Express » une décennie de génie : « Pink Floyd – The Wall », 1982 ; « Birdy », 1985 ; « Angel Heart », 1987 ; « Mississipi Burning », 1989. De son côté, Brad Davies, héros du film, allait jouer le rôle de sa vie, se montrant digne des plus grands de l’Actors Studio. Le scénariste, alors parfait inconnu, allait remporter rien de moins que l’Oscar de la meilleure adaptation de scénario en 1979. Il s’agissait d’un certain Oliver Stone, qui allait devenir le génial réalisateur de « Platoon », « Né un 4 juillet » et « JFK ». Rien que cela. Et la bande originale ? Il fallait oser le pari : musique électronique, par l’Italien Giorgio Moroder. Totalement original, avant-gardiste.
Oscar de la meilleure bande originale. Qui ne tente rien n’a rien, et ici il semble qu’on ait tout tenté et tout réussi, ou presque. Parker a même osé refuser de tourner la fin du film : il lui semblait qu’elle porterait préjudice à l’œuvre. Fureur du studio, on l’imagine, mais comment forcer un réalisateur à tourner ? Parker a fait preuve ici d’un instinct prodigieux : l’œuvre, ainsi tronquée, se trouve autrement plus subtile et puissante en définitive.
D’ailleurs, le plan final est une merveille inoubliable. Mais commençons par le commencement…
Turquie, 1970. Billy Hayes, un jeune touriste américain, est arrêté pour avoir tenté de faire passer du hachisch hors du pays. Pas grand-chose, mais 30 ans de prison au final tout de même. Pour l’exemple. Le contexte politique, évidemment, a joué contre lui : les relations entre la patrie de Nixon et la Turquie étaient des plus âpres.
Face à un système juridique corrompu, Hayes ne pourra rien. La justice n’a d’équité plus que son nom : noire reine au sourire malin, Thémis pue le scandale. Hayes, poussé aux extrêmes limites de la condition humaine, tour à tour insultera la nation turque, plein d’une rage saline, arrachera, Arès en extase, la langue de Rifki, fourbe compagnon de cellule, côtoiera la folie dans les limbes et se masturbera comme une bête face à sa belle en pleurs. Dérangeant ? Oui, évidemment, mais non. Le scandale, c’est la cause. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les geôliers de Hayes n’y sont pas allés de main morte. Et que l’on se figure maintenant la chose suivante : (William) Hayes a bel et bien existé, et, si le film de Parker est loin d’être un rendu fidèle de son enfer, il n’en a pas moins de terribles accents de vérité. On chiale et l’on mord la poussière, gorgé de désespoir. L’un se fait sodomiser par son geôlier, l’autre briser les os aussi indifféremment que l’on bat les cartes. On crève la vie comme un bouton d’acné, en toute impunité, au nom de la justice, au nom de Thémis. Ô, joyeusetés ! Que faire alors, sinon sauter dans le « Midnight Express », c’est-à-dire s’évader ?
« Midnight Express » est une formidable œuvre d’art, et un jalon dans l’histoire du cinéma. Il n’a pas cessé d’inspirer les cinéastes de tous horizons, et, trente ans après sa genèse, il frappe les esprits comme jadis.
[Raphael Fleury]
Midnight Express
USA – ROY – 1978
Durée: 2h01 min
Drame, Polar
Réalisateur: Alan Parker
Avec: Brad Davis, John Hurt, Irene Miracle, Randy Quaid, Bo Hopkins, Paul L. Smith, Mike Kellin, Gigi Ballista
01.09.1978 au cinéma