« If footmen tire you, what will horses do ? » ne fait pas usage des nombreuses richesses qu’offre le cinéma. Ses intentions propagandistes obscurantistes motivent et forment au contraire l’essence (et l’intérêt) même du métrage, dans lequel se manifestent beaucoup de bêtises hallucinantes.
Il s’impose nécessaire et indispensable de préciser en guise d’introduction que l’étude à venir de cette œuvre de propagande n’impliquera en rien pour autant une affirmation ou une négation des thèses qu’elle soutient (l’existence d’un Dieu, la positivité du libéralisme et la mauvaiseté du communisme en l’occurrence, sujets sur lesquels je ne me prononcerai pas).
L’oeuvre est disponible dans son intégralité sur l’Internet Archive (https://archive.org) à partir de ce lien.
Projeté dans le cadre de l’édition 2021 du Lausanne Underground Film Festival (LUFF), sous la rubrique « christianisation », If footmen tire you, what will horses do ?, œuvre indépendante, artisanale et engagée, marque par le radicalisme absolu de son propos et de son argumentaire absurde (dont l’idiotie émane à foison, inscrivant son vecteur dans les plus tristes (et grotesques) pages de l’Histoire de l’obscurantisme politique et religieux) et s’impose paradoxalement comme une expérience cinématographique très amusante. Financée par des donations privées à hauteur d’une dizaine de milliers de dollars, elle suit la prédication du pasteur baptiste Estus Pirkle. La prédication, sur la forme comme sur le fond, fait office de fil conducteur de l’œuvre, aussi bien filmée qu’imagée, certaines séquences illustrant les propos de cette dernière, et d’autres montrant la déclamation elle-même et les effets qu’elle a sur son auditoire ; narrations qui s’alterneront tout au long de ce moyen-métrage.
« If footmen tire you, what will horses do ? », marque par le radicalisme absolu de son propos et de son argumentaire absurde (dont l’idiotie émane à foison)
Concernant la genèse du film (et des productions similaires que les auteurs ont signés), c’est en survivant au crash de leur avion que Ron et June Ormond vont trouver la foi, s’associant alors avec le pasteur baptiste Estus Pirkle pour « décupler l’impact » des prédications de ce dernier.
Sorti en 1971, en contexte de guerre froide, donc, la peur haineuse du communisme suinte de partout, celle-ci apparaissant comme une menace considérable pour le régime américain capitaliste en place que dépeint (et bénit) l’œuvre.
Cette menace grandissante est montrée de façon si hyperborée qu’elle en devient grotesquement comique. Les (très) méchants communistes russes torturent et assassinent les enfants sans pitié aucune, en les transperçant par les oreilles avec des bambous, leur tranchent la tête, et les tuent par rafales. Les corps tombent par dizaines et le faux-sang abonde, le tout sous les rires jubilatoires de ces rouges meurtriers, stupides et cruels. Terribles manipulateurs, lorsque, pour tenter de sauver sa peau d’une punition terrible (et peut-être même mortelle), un enfant américain s’affirme non-capitaliste et non-croyant, reniant alors les valeurs familiales en même temps que les siennes et celles de sa patrie, les communistes, en conséquence, lui ordonnent de tuer sa mère, (qui, elle, n’a pas nié ses valeurs capitalistes), afin d’évaluer la prétendue foi de l’enfant en question envers le régime communiste dont il s’affirme partisan. Leur propagande dans les écoles se fait par l’offrande de bonbons, « miracle » de la part de Fidel Castro, afin de corrompre cette jeunesse innocente et de la détourner des modèles capitalistes enseignés jusqu’alors, ou autres stratagèmes manipulateurs. La prière au Grand Fidel Castro est imposée, ce dernier est idolâtré, et en vient (littéralement) à remplacer Jésus. Sous l’autorité de la faux et du marteau, le travail est pénible et sans fin. De très tôt le matin jusqu’à tout aussi tard le soir, les enfants sont aux champs, et travaillent dur et péniblement. Adieu bonheur, sérénité, vacances et sourires ; avec le communisme, vous vivrez un enfer !
Adieu bonheur, sérénité, vacances et sourires ; avec le communisme, vous vivrez un enfer !
Représentés par des personnages hideux, manipulateurs, violents, ils nous apparaissent comme détestables, et aucune concession de bonté (pas même une once de bonne intention) ne leur sera faite durant les 53 minutes qui composent le métrage. Les communistes arrivent littéralement titubants, la bouteille de vodka à la main, pour imposer leur régime violent et dictatorial dans la maison d’une Amérique familiale, aimante, libre, heureuse et innocente. Un gros plan sorti de nulle part montrant le visage menaçant d’un communiste émergeant de l’ombre hante même à plusieurs reprises le métrage, telle une menace diabolique planant sur ce pays idéal et paradisiaque.
Cette mauvaiseté absolue est très vite mise en contraste avec la retenue et la « bonté » émanant du ton du prédicateur Pyrkle. Usant d’éléments rhétoriques émotionnels, et d’un nombre infini de sophismes (Si « X » a la propriété « Y », alors tout ce qui possède « Y » est « X » lui servira d’argumentaire principal), il construit sa prédication sur des considérations mensongères et racistes, exploitant jusqu’à leur paroxysme les stéréotypes que l’on attribuait alors aux communistes. Le prédicateur nous est montré comme un personnage idéal, une incarnation parfaite de la bonté et de la sagesse, figure de savoir honnête, au regard bienveillant, exprimant le bien d’une façon si sincère que l’on pourrait aisément croire à une parodie, sans hélas que ça soit le cas. (l’œuvre se clôt sur un discours surréaliste de Pyrkle regardant directement l’objectif de la caméra et répétant à trois reprises à ses auditeurs (donc directement à nous) « will you come ? » sur un ton se voulant rassurant et bienveillant, invitant alors le spectateur à le rejoindre sur le droit-chemin et à appliquer son discours). Certains spectateurs auront même trouvé le personnage du pasteur dérangeant pour son extrême fausseté et ses aspects manipulateurs.
Le prédicateur nous est montré comme un personnage idéal ; incarnation parfaite de la bonté et de la sagesse divine
La Bible à laquelle il fait référence apparaît ainsi comme le modèle d’éducation par excellence, modèle que les habitudes communistes contredisent et mettent dangereusement en péril. Pirkle nous dit que le communisme ferait oublier la Bible, au profit terrible de la télévision. L’alcool courrait à flots, et la danse, invention du Diable, éloignerait les citoyens du droit-chemin du Paradis et de la rédemption de l’âme, les privant de façon certaine du salut des cieux.
L’auditoire du prédicateur se montrera convaincu, et même extrêmement touché par cette prédication. Une jeune femme y trouvera même la foi dans une séquence des plus pathétiques, voyant « enfin » en la religion que propose le pasteur le chemin à suivre, la Vérité bonne. Larmoyante et coupable, elle confessera ses péchés au pasteur, s’excusera de ne pas avoir cru jusqu’alors, et promettra de suivre le droit chemin, de s’écarter de tout vice, s’assurant ainsi le salut. Le pasteur bienveillant et indulgent acceptera cette confession et excusera ses péchés, assurant ainsi à cette jeune femme une place certaine au paradis aux côtés de sa chère bienveillante et tendre grand-mère décédée, qui ne pourra qu’être que ravie de voir sa fille prendre enfin le chemin de la rédemption.
Pour un résultat aujourd’hui extrêmement pathétique, et même risible (bien des rires se sont faits entendre lors de la projection), on retrouve sous leur forme la plus poussée les éléments rhétoriques d’une propagande religieuse américaine aujourd’hui ridicule et obsolète, encore plus pour un spectateur européen. Il est absolument hallucinant d’apprendre que de telles œuvres ou prédications ont pu être interprétées par certains au premier degré, et ont eu envers plusieurs spectateurs un effet de conviction révélatrice. (Aussi fou que cela puisse paraître, c’est pourtant ce qu’expliquait Maxime Lachaud en début de séance dans sa présentation du métrage).
En bref, prenez Starship Troopers, de Paul Verhoeven, retirez-en les moyens techniques et financiers, mais surtout l’ironie verhoevenienne, et vous arriverez probablement à un résultat très proche de If footmen tire you, what will horses do ?
Avec l’exagération mensongère de ses moyens (la simple description des scènes se suffit à elle-même) comme de son contenu, tableau d’une idéologie historique dépassée, mais incroyablement absurde, ce moyen-métrage saura plaire aux intéressés d’histoire autant qu’aux amateurs de productions artisanales bas-budget excessivement engagées et involontairement pathétiques. Production assez inhabituelle, il s’agit très certainement, pour reprendre les termes du festival qui le programme, du « film le plus fou de la christiansploitation ! » (!)
If footmen tire you, what will horses do ?
USA – 1971 – 53 min
Réalisé par Ron Ormond
Société de production : The Ormond Organisation