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mardi, novembre 19, 2024
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L’homme qui voulait savoir (Spoorloos)

L’homme qui voulait savoir

George Sluizer adapte le livre « L’œuf d’Or » de son compatriote Tim Krabbé, dans lequel Rex Hofman et Saskia Wagter ont quitté Amsterdam en voiture pour passer des vacances en campagne. Le couple tombe en panne dans un tunnel, ce qui pousse Rex à partir chercher du carburant et à laisser Saskia seule un moment, terrorisée par un rêve qu’elle a fait. Plus tard, les deux amants se réconcilient sur une aire d’autoroute, la fille étant clairement fâchée que Rex l’ait abandonnée alors qu’elle était apeurée. L’homme lui jure qu’il ne l’abandonnera plus jamais. Puis, Saskia part chercher des boissons et disparaît de manière incompréhensible. Rex interroge tout le monde et elle semble avoir parlé à un homme durant ce court laps de temps. Il tentera tout pour la retrouver, en vain.

L’homme qui voulait savoir
L’homme qui voulait savoir

L’œuf d’Or
Le film se divise distinctement en trois parties. La première précède la disparition de Saskia dans la station-service. La scène du tunnel est presque prémonitoire, Saskia paniquant de manière disproportionnée, comme si elle pressentait ce qui allait se produire. Elle a rêvé d’un œuf d’or, hommage au livre de Tim Krabbé dont le film est tiré. Le spectateur n’ayant aucune idée de ce qui va suivre ressent cette démesure dans sa réaction sans en comprendre la raison. Nous sommes donc tout de suite dans une situation d’inconfort, perdu dans ce tunnel sombre qui semble sans fin, à la merci des camions qui pourraient percuter la voiture à chaque instant vu le peu de visibilité.

La grande force de cette partie du film réside dans ses acteurs, Gene Bervoets et Johanna ter Steege, car leur idylle fonctionne directement. Ils semblent s’aimer d’un amour fou et passionnel. C’est hanté par cette représentation de l’amour que Rex et le spectateur assisteront à la suite du film, impuissants. La scène de la station-service semble rassurante dans un premier temps, le cadre transitoire du lieu ne semblant que passager. Pourtant, le destin de tous les personnages du film va se jouer ici. Après une réconciliation brève mais intense entre les deux amants, Saskia décide d’aller chercher des boissons. C’est là que l’angoisse monte, Rex paniquant en ne la voyant plus revenir. Le souci du détail est ici impressionnant, le réalisateur s’attardant sur chaque élément pouvant potentiellement redonner espoir à Rex, et par extension au spectateur. Elle semble avoir été accompagnée d’un autre homme aux dires des gens qu’il interroge dans la station-service…

L’ellipse de trois ans qui suit a de quoi décontenancer. Rex n’ayant jamais retrouvé Saskia, il tente de reprendre le cours de sa vie, sans y parvenir vraiment, hanté par le souvenir de sa bien-aimée. Nous allons encore suivre sa quête éperdue pendant une partie du film (il va notamment perdre sa nouvelle fiancée, trop obnubilé par sa quête), puis le point de vue va changer. Cette première partie s’avère très linéaire, mais George Sluizer va vite modifier cette apparente monotonie narrative.

L’homme qui voulait savoir
L’homme qui voulait savoir

Une affaire de points de vue
La deuxième partie du film nous fait rentrer dans la peau du kidnappeur de la jeune Saskia. C’est là que le film réussit à surprendre, puisque l’on suit son quotidien de père de famille bien sous tous rapports. Et c’est là que le film est glaçant, nous montrant bien que n’importe qui peut basculer du côté sombre. On assiste à la mise en place de son modus operandi, le voyant essayer de l’éther pour endormir des jeunes femmes ou encore s’entraîner à les baratiner pour réussir à les faire monter dans son véhicule. La prestation de Bernard-Pierre Donnadieu, qui incarne ce Raymond Lemorne le bien-nommé, est assez stupéfiante, puisqu’il réussit à retranscrire à la fois ce malaise d’être prisonnier d’une vie de père de famille bien monotone et cette exaltation qui le prend lorsqu’il met en place son plan machiavélique. La séquence du repas en famille est en soi assez représentative de ce caractère dichotomique du personnage. Elle débute de manière très saine, la relation entre la femme, les deux filles et le mari semblant tout à fait normale. Puis Raymond Lemorne s’énerve un petit peu, et c’est tout un passif d’incompréhension mutuelle qui semble ressurgir sur le visage des membres de sa famille. Cet inconfort est très bien transmis au spectateur par une mise en scène sobre et naturaliste.

Face à monsieur tout-le-monde
La dernière partie du film confronte Raymond et Rex. Celui-ci ayant décidé de tout tenter pour élucider la disparition de Saskia va se manifester publiquement à la télévision. C’est là que Raymond décidera de prendre contact avec lui. À ce moment-là, le spectateur est pris au piège au même titre que Rex, puisque Raymond lui propose de lui dire ce qui est arrivé à Saskia uniquement si Rex accepte de subir le même sort qu’elle. Évidemment, celui-ci accepte et le spectateur est pris dans une spirale de curiosité malsaine et irréversible. Les deux personnages vont donc revisiter la séquence de la station-service, cette fois-ci du point de vue de Raymond Lemorne. Ce changement de point de vue rappelle beaucoup le « Rashômon » de Kurosawa, auquel George Sluizer rend un hommage détourné. Il était jusqu’alors difficile de s’y retrouver dans la chronologie des faits, mais cette dernière partie du film rétablit habilement le cours des événements. On y comprend mieux les motivations très métaphysiques du kidnappeur. George Sluizer termine son film de manière glaçante, immortalisant un amour absolu qui n’aura jamais eu le droit de s’épanouir. C’est ce qu’on appelle une fin pessimiste !

Quelques années après la sortie de « Spoorloos », George Sluizer va se laisser séduire par les sirènes hollywoodiennes et réalisera un remake de son propre film nommé « La disparue » avec Jeff Bridges, Sandra Bullock et Kiefer Sutherland. Malgré un casting de choc, le film échouera totalement à reproduire cette puissance d’évocation morbide qui caractérisait l’original. En l’état, cet « Homme qui voulait savoir » restera pour longtemps un des plus beaux films du monde.

L’homme qui voulait savoir

L’homme qui voulait savoir (Spoorloos)
De George Sluizer
Avec Bernard-Pierre Donnadieu, Gene Bervoets et Johanna ter Steege

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