Dans la grande vague des films post-apocalyptiques italiens qui nous a donné plusieurs merveilles fortement traumatisées par « Mad Max », Bruno Mattei, grand tâcheron du bis rital fauché, s’est mis en tête de nous livrer un objet différent.
FILM DE COULOIRS
On imagine facilement le dialogue du maître avec ses
producteurs :
« Alors là, je vois un grand film où une poignée de barbares du futur doit lutter contre une armée de rats intelligents dans un monde en ruines.
– T’es fou Bruno, ça va nous coûter la peau des fesses pour les décors en location de carrières de graviers et d’usines désaffectées !
– Non, car c’est là qu’est l’idée : je vais faire un « Mad Max »…. d’intérieur !».
En effet le trait de génie, c’est de filmer tout le film dans un seul bâtiment et un coin de rue, ce qui permet au réalisateur de se concentrer sur les effets spéciaux et le jeu des acteurs (non je déconne, les deux sont aussi mauvais que d’habitude).
Or donc, une voix off sur fond de musique bontempi nous annonce qu’après l’holocauste atomique (en 2015, soit quatre ans avant la chute de New York, comme quoi tout se tient), les hommes se sont réfugiés sous terre.
Quelques barbares à moto sont quand même remontés à la surface et vivotent dans une atmosphère de violence et de liberté…
Arrive donc une bande mixte de ces nouveaux barbares emmenés par leur chef, Kurt, sosie d’un des Bee Gees, aussi charismatique qu’un clafoutis mais qui est le chef car c’est le meilleur (c’est bien connu, les plus Kurt sont les meilleurs). Ils arrivent dans un quartier déserté qui, chose curieuse pour un film dont l’action est censée se passer à Manhattan, est composé de jolies maisons blanches aux toits de tuiles rouges ! A moins qu’il y ait un quartier de Manhattan ayant repris les codes architecturaux de la banlieue romaine… Là, ils tombent sur une grande baraque avec un bar, des rats et surtout de grandes réserves de nourriture : c’est l’orgie.
PATATRATS
Mais la fête est vite interrompue quand ils découvrent des cadavres bien cra-cra en train de se faire bouffer par des rats, ce qui permet quelques scènes chocs avec macchabées tombant des placards, et de grands moments d’actors studio lorsque nos acteurs jouent la peur avec la finesse de gnous sous amphétamines.
Commencent alors les premières attaques de rats.
C’était encore une époque où on ne bridait pas la créativité des réalisateurs par des lois sur la protection animale. Alors là on n’hésite pas à balancer des tas de rongeurs à la gueule des acteurs, par pelletés entières, par les fenêtres. On se défend à coups de lance-flammes, cramant joyeusement du rattus norvegicus à tour de bras. N’ayant vu personne crédité au générique pour la création de rats mécaniques et ayant repassé la scène plusieurs fois, je crois bien qu’ils aient foutu le feu à de vrais rats…
Suite à la première attaque, Lilith et Lucifer, isolés le temps d’une scène érotique (le plan nichon, une figure imposée), se font bouffer ainsi que Noé, un des bikers de garde. Dans le groupe, la blonde Mirna joue les hystériques de service, Deus, un grand chauve à couette mongole, balance quelques doctes phrases sur l’intelligence des rats et Duke, un brun trapu en costume de Napoléon, commence à contester l’autorité de Kurt qui décide de se barricader dans la baraque. Tout cela pour meubler entre deux attaques de rats sous Tranxene, grignotant mollement du grain sur le plancher pendant que les acteurs poussent des cris et agitent les bras. Seule exception : un pitoyable mécanisme filmé en gros plan flou avec des rats en plastique qui avancent en rang comme une armée. C’est déjà effroyablement pas beau, mais quand sur le plan suivant on voit quelques dizaines de vrais rats éparpillés qui semblent se demander ce qu’ils font là, on sent qu’on barbote en plein amateurisme.
A la fin, alors que la toute dernière barricade est en train de céder, des types en cirés jaunes et masques à gaz jaillissent du sol et gazent la meute de rats. Sauvés, se disent les survivants, sauf que ce bon vieux Bruno nous réserve une pirouette finale qui achèvera un spectateur déjà bien éprouvé.
[Richard Tribouilloy]