Comme le « J’accuse ! » d’Émile Zola, le nouveau film de Marco Bellochio est tiré d’un fait avéré qui met en lumière des agissements douteux à la fin du 19ème siècle.
L’enlèvement par l’église catholique d’un enfant juif a non seulement scandalisé l’opinion publique de l’époque, mais également entraîné des répercussions politiques.
Edgardo Mortara est né à Bologne, le 27 août 1851. Ce petit garçon issu d’une famille juive traditionnelle, fut enlevé à la garde de ses parents par les autorités papales pour être élevé au sein de l’église catholique, alors qu’il n’avait pas encore 7 ans.
Profitant de l’action de sa nourrice catholique, l’ayant baptisé en cachette, l’inquisiteur de Bologne Pier Gaetano Feletti a donné l’ordre aux soldats de la ville pontificale de prendre l’enfant de force, l’arrachant cruellement à sa famille aimante. Transféré à Rome dans une école religieuse, le petit garçon s’est retrouvé cloîtré avec d’autres enfants convertis de force…
Ce tragique évènement a eu de nombreuses conséquences, aussi bien pour l’enfant lui-même qui a souffert toute sa jeunesse d’un manque cruel d’affection, mais également pour sa famille dévastée qui a dû se reconstruire. L’affaire a pris une telle ampleur dans la péninsule italienne et à l’étranger, qu’une milice anticléricale s’est formée en Émilie-Romagne et dans d’autres régions transalpines.
Bien documenté historiquement, ce film, présenté en Compétition au Festival de Cannes 2023 est magnifiquement réalisé. Les personnages du film interprétés par des acteurs italiens, peu connus, apportent beaucoup d’émotions au spectateur. Les décors donnent une idée réaliste de ce à quoi ressemblait l’Italie de l’époque.
Marco Bellocchio, est l’un des plus grands cinéastes de son pays. Le réalisateur italien aux 60 ans de carrière, a plus de 56 films et séries tournés à son actif.
Il est connu pour son approche psychanalytique et provocatrice. Rompant avec le néoréalisme, il a créé des œuvres baroques et engagées qui passent au vitriol les piliers de la société italienne : la religion (Au nom du père, 1971), la famille (Le Saut dans le vide, 1979), et l’armée (La Marche triomphale, 1976).
Il a fait preuve d’une grande fidélité envers ses collaborateurs, notamment des acteurs comme Lou Castel, qu’il a découvert, ou Michel Piccoli et Anouk Aimée, tous deux prix d’interprétation à Cannes en 1980 avec Le Saut dans le vide. Ses films subversifs sont entourés d’un parfum de scandale à l’image du Diable au corps qui a mis en émoi les festivaliers à Cannes.
Son dernier film tourné en Émilie Romagne et dans la région de Rome, critique clairement les agissements des hauts dignitaires de l’église catholique de l’époque ainsi que l’ancien Pape Pie IX, alias Giovanni Maria Mastai Ferretti, qui détient le plus long pontificat de l’histoire (31 ans de règne).
Cet ancien chef de l’église a un parcours impressionnant. Aux prises avec la vague révolutionnaire qui a bouleversé la politique européenne, Pie IX était partagé entre le statut de pasteur universel et celui de pape-roi d’un État indépendant.
Résolument conservateur, le Saint-Père a été l’auteur du Syllabus et de l’encyclique Quanta cura, qui ont condamné toute forme de modernisme dans l’Église. Il a défini l’infaillibilité pontificale, qui a élargi la fracture entre l’Église catholique et les autres confessions chrétiennes. Connu comme étant plus ou moins tolérant avec les personnes de confession hébraïque, le religieux a fait preuve de beaucoup d’entêtement, de prosélytisme et d’une forte malveillance dans l’affaire Mortara, une décision personnelle regrettable qui le poursuivra jusqu’à la fin de sa vie.
Il est judicieux de remettre l’église au milieu du village et cette réalisation part d’une bonne intention, mais arrive à un mauvais moment, une période où l’Église est déjà fortement chahutée.
L’Enlèvement (Rapito)
IT – 2023 – 2h15min – Drame
De Marco Bellocchio
Avec Paolo PIEROBON, Fausto RUSSO ALESI, Barbara RONCHI, Enea SALA, Leonardo MALTESE, Filippo TIMI
Agora Films
01.11.2023 au cinéma