Voici le onzième et peut-être dernier film du créateur japonais Hayao Miyazaki qui, à 72 ans, aurait décidé d’arrêter la réalisation, se sentant avec l’âge trop faible pour fournir toute l’énergie nécessaire à la réalisation d’un long-métrage d’animation. Le vénéré metteur en scène resterait toutefois actif au sein du studio d’animation « Ghibli », qu’il a créé avec Isao Takahata et qui a, au cours des années, produit beaucoup des grands succès de l’animation japonaise, certains de lui-même comme « Princesse Mononoké », « Le Voyage De Chihiro » ou quelques autres tels que «Le Tombeau des Lucioles » du cofondateur ou « La Colline Aux Coquelicots » de Gorō Miyazaki.
En guise de testament cinématographique donc, le cinéaste nippon livre son œuvre la plus ancré dans le réel, la moins fantastique et la plus apparemment personnelle. Quoiqu’il soit parfois un peu difficile d’interpréter clairement les véritables intentions du réalisateur. Pris au premier degré, ce film raconte l’ample destin d’un jeune homme qui se rêvait aviateur et qu’une inaptitude physique va priver des frissons de l’air pour le pragmatisme des bureaux d’ingénierie militaire où se conçoivent les avions de guerre, tels que le fameux « Zéro ». Si ce célèbre engin, cercueil des kamikazes et machine parmi les plus mortels de la seconde guerre mondiale est ici à l’honneur, c’est que Miyazaki s’est inspiré de la vie de son concepteur Jiro Horikoshi pour écrire son scénario. C’est cet aspect du long-métrage, mettant en scène un personnage indirectement responsable de la mort de milliers d’ennemis du Japon, qui, suite à sa nomination pour l’Oscar du meilleur film étranger et lors de sa sortie en Asie, créa la polémique. Parmi ses détracteurs, la Corée Du Sud, qui aurait aimé que soient montrés également les dégâts causés à leur pays par le tristement efficace bombardier. Le cinéaste aurait plutôt voulu raconter le destin d’un homme, jamais héroïsé, qui dut sacrifier ses propres idéaux pour ceux de son pays et de ses ambitions belliqueuses et économiques. Avec cette figure symbolique, l’auteur englobe tout une génération qu’il préfère voir plutôt comme des suiveurs qui acceptent le régime par dépit, que comme des partisans convaincus. Ça parait un brin naïf mais correspond tout à fait aux travers du cinéaste qui, dans une deuxième partie, inspirée du roman «Le Vent se lève» de Tatsuo Hori et consacrée à l’histoire d’amour du héros avec une tuberculeuse, montre clairement une certaine propension à céder à la mièvrerie.
Toute cette partie, où les tourtereaux gambadent au gré du vent, font voler gaiement de petits avions de papier, se pleurent dans les bras et dans laquelle s’enchaînent ralentis et gros plans d’énormes yeux humides, prouve encore une fois que le cinéma d’animation asiatique aime la sentimentalité très exacerbée. On pardonnera au réalisateur qui, au faîte de sa carrière, a bien le droit de verser un peu dans la guimauve. Surtout qu’on peut voir dans ses soudains élans du cœur comme un dernier hommage du fils à sa mère, elle-même victime de la tuberculose. Quoiqu’il en soit, cette introspection conforte également l’idée qu’il s’agit bien ici du chant du cygne d’un artiste qui s’est toujours préférablement exprimé par le biais d’œuvres plus fantasmagoriques. Ce choix du réel, cette interprétation de la grande Histoire et ces quelques saillies autobiographiques peuvent être interprétées comme une manière de l’auteur d’enfin se laisser aller à parler plus directement de lui, de ses vues politiques et de son pays. Ce dernier film restera d’ailleurs comme l’un des plus accessibles de sa filmographie car, pour quiconque est toujours resté réfractaire à son univers très personnel et ses ambiances de contes fantastiques, ce retour au classicisme, non dénué de fantaisie toutefois, fait du bien. Il donne surtout l’occasion d’apprécier le véritable talent du réalisateur. Celui de metteur en scène. La scène du tremblement de terre de Kanto, le vol des chasseurs vers la guerre et plus généralement toutes les scènes de reconstitution de la vie japonaise d’antan sont des morceaux de bravoures qui rappellent que Miyazaki a bien sa place dans l’Histoire du cinéma d’animation. Pour le reste, ce n’est finalement qu’affaire de sensibilité. On se rappellera de lui comme d’un créateur qui n’aura jamais trahi sa foi en l’animation, en son pouvoir d’enchantement, en ses capacités à susciter la réflexion et qui n’aura jamais considéré le dessin animé que comme un seul jeu d’enfants.
Le Vent Se Lève
De Hayao Miyazaki
Avec les voix de Steve Albert, Hideaki Anno….
Frenetic Films / TBA Phonag