« Time it was, and what a time it was; it was a time of innocence, a time of confidences ». Ces paroles de la chanson « Bookends », des légendaires Simon & Garfunkel, dénotent avec merveille les sentiments et la situation vécus par Benjamin Braddock, le protagoniste de « The Graduate » (« Le Lauréat » en VF), excellent film sorti sur les écrans en 1967.
Adapté du roman homonyme de Charles Webb, ce long-métrage représente une étape importante pour le personnage principal de la fiction, mais aussi pour les spectateurs d’alors, génération soixante-huitarde pour qui la représentation de la sexualité était sur le point d’être bouleversée. Mike Nichols, un émigré berlinois alors au début de sa carrière, réalise avec « The Graduate » un film symptomatique de son époque, tout en capturant avec une rare sensibilité le sentiment d’incertitude qui paralyse le protagoniste.
Fraîchement bachelier, Benjamin (Dustin Hoffman) retourne dans la ville où il a grandi. Ses parents, dont la fierté est sans équivalent, organisent une réception pour leur fils prodige.
Balancé entre sa timidité excessive et les doutes qui l’assaillent, Ben se retrouve propulsé dans cette soirée mondaine alors qu’il ne rêve que de s’isoler. Son quotidien se bouleverse cependant lorsqu’il rencontre Mrs. Robinson (Anne Bancroft), une connaissance de ses parents avec laquelle il entame une relation… avant de rencontrer la fille de celle-ci, Elaine (Katharine Ross). L’équation se complique aussitôt.
En réalisant « The Graduate », Nichols aborde la sexualité de manière frontale et reflète, à la fois, le conflit générationnel pré-1968, ainsi que le clash imminent entre l’ancien et le nouvel Hollywood. S’il aborde ouvertement un thème qui restait jusqu’à présent contourné – voire même souvent tabou –, le réalisateur ne s’abaisse cependant jamais au racolage, bien au contraire, puisqu’il se sert de ce sujet comme un véritable ressort dramaturgique.
D’une certaine manière, la sexualité offre en effet un moyen à Ben de s’émanciper du joug parental, en coupant le cordon ombilical qui le relie encore trop fortement au cocon familial. A ce titre, le film comporte de nombreuses références à l’utérus matriciel, au sens propre (les ébats sexuels de Ben avec Mrs. Robinson, plus âgée et maternelle) comme au sens figuré (la volonté du protagoniste à vouloir rester immergé dans la piscine de ses parents).
Cette difficulté qu’éprouve Ben à quitter le confort familial symbolise également l’inquiétude grandissante que celui-ci ressent vis-à-vis de son avenir. Aussi, la fin de ses études étant censée marquer la fin de l’apprentissage – et l’entrée dans le monde du travail –, Ben se retrouve face à une étape charnière de sa vie qu’il ne peut se résoudre à franchir : il est encore trop tôt pour remplacer l’insouciance de l’adolescence par l’inquiétude de l’âge adulte. C’est la sexualité, mais surtout l’amour que Ben ressent pour Elaine, qui va pousser le protagoniste à dépasser ce cap.
Nichols parvient à capturer cette transition entre deux mondes avec une délicate sensibilité, à l’image de la scène finale. Dans cette séquence, le réalisateur juxtapose dans un seul et unique plan l’euphorie et la peur ressenties simultanément par Ben à l’issue de ses agissements, se rendant compte que, désormais, ses actions entraînent des conséquences. La tendresse accordée au traitement du personnage est renforcée par la musique de « The Graduate », constituée de morceaux – parfois originaux – composés par Simon & Garfunkel.
Dans un passage de « (500) Days of Summer », l’une des meilleures comédies romantiques de ces dernières années (Marc Webb, 2009), Tom et Summer se rendent au cinéma. Lui est inquiet, car une distance ne cesse de croître au sein de leur couple; elle, les yeux rivés sur l’écran, ne peut s’empêcher de pleurer. Le film projeté n’est autre que « The Graduate ». En sortant de la salle, Tom s’empresse de demander à Summer ce qui ne va pas. « Est-ce que c’est à cause du film ? ». « Oui », répond-elle, « je sais, c’est stupide ». En fond, l’on peut entendre « Bookends », qui convoque instantanément la douce nostalgie des temps passés.
En affichant ainsi son fort rattachement au film de Mike Nichols, Marc Webb met en image l’immense influence qu’a encore aujourd’hui « The Graduate », fleuron du « film de campus »’ (voir ci-dessous) qui, 40 ans auparavant, avait si bien su cristalliser autant de sentiments intergénérationnels. Et par la même occasion, de nous faire basculer dans la nostalgique insouciance d’un autrefois. « Long ago, it must be, I have a photograph. Preserve your memories, they’re all that’s left you ».
Le Lauréat
De Mike Nichols
Avec Dustin Hoffman, Anne Bancroft, Katharine Ross
Studio Canal