Il faisait bon s’appeler Sergio lorsque l’on voulait réussir dans le western spaghetti.
Outre Sergio Leone, que l’on ne présente plus, et Sergio Corbucci (dont nous avions présenté l’indispensable « Le Grand silence » dans notre numéro 36), un troisième Sergio contribua à donner ses lettres de noblesse à un genre longtemps méprisé par la critique (mais plébiscité par le public populaire) : Sergio Sollima. Des trois, il fut celui qui réalisa le moins de westerns : « Colorado » en 1966, sa suite « Saludos hombre » en 1968 et entre deux, le film qui nous occupe, et le meilleur : « Le Dernier face à face » (1967).
DU TRAVAIL DE PRO
Sergio Sollima débuta comme scénariste avant de se tourner vers la réalisation, il en résulte un grand soin apporté aux intrigues de ses films, qui tiennent bien mieux debout que la moyenne des westerns spaghettis, qui sacrifiaient souvent la vraisemblance au bénéfice du spectacle. Il fit ses premiers pas derrière la caméra dans le film à sketchs « Amours difficiles », avant de continuer dans le film d’espionnage avec la série des « Agent 3S3 ». Comme tout bon artisan italien, il passait aisément d’un genre à l’autre et, suivant les modes du moment, enchaîna avec le western spaghetti avant de se tourner vers le polar sécuritaire (les excellents poliziotteschi « Cité de la violence » et « Revolver »), puis de finir sa carrière à la télévision (la fameuse série « Sandokan »), alors que l’industrie cinématographique italienne s’éteignait à petit feu. Une belle carrière donc, peu prolifique pour l’époque (dix films tout de même entre 1962 et 1973, puis dix autres les 15 années suivantes), un regret largement compensé par une qualité constante.
Le metteur en scène et scénariste a mis toutes ses compétences dans « Le Dernier face à face », probablement son meilleur film. Il prend le meilleur des codes du western spaghetti, et va y insérer une intrigue psychologique forte des dilemmes moraux de ses personnages. Il ne s’agit pas simplement ici d’une histoire de vengeance ou de s’emparer d’une cargaison d’or, mais du croisement des trajectoires de deux personnages que tout opposait.
LE BANDIT ET L’INTELLECTUEL
Le métrage reprend la mécanique qui avait permis au classique de Damiano Damiani, « El Chuncho », de si bien fonctionner : la rencontre explosive entre un Américain et un Mexicain/Indien résolument différents (schéma réadapté de nombreuses fois par la suite, entre autres dans « Il était une fois la révolution » de Sergio Leone). Ici, point de contexte révolutionnaire cependant, mais une subtile critique sociale puisque le bandit, malgré sa cruauté, est une espèce de Robin des Bois au grand cœur qui protège et nourrit une communauté de déracinés.
L’histoire dépeint la rencontre entre Brad Fletcher (Gian Maria Volonte) et Beauregard Bennett (Tomas Milian). Le premier est un professeur d’histoire, véritable humaniste, qui a déménagé au Texas pour soigner une tuberculose tenace grâce au climat sec de cette région. Le second est le redoutable chef de la Horde Sauvage, une bande de hors-la-loi sanguinaire récemment démantelée. Lorsque la diligence transportant les shérifs escortant Beauregard vers sa prison fait étape à l’hacienda où loge Brad, le bandit profite de ce que Brad insiste pour lui donner de l’eau pour abattre ses geôliers et s’échapper, emportant le professeur comme otage. Bien que Bennett incarne tout ce que déteste le pacifique Fletcher (la violence sauvage, l’absence d’empathie), une singulière amitié va se nouer entre les deux, au gré de leurs péripéties, chacun sauvant l’autre à tour de rôle. Le sage intellectuel va rapidement être fasciné par la liberté du mode de vie du hors-la-loi, tandis que l’Indien inculte va apprendre l’empathie et le sens de la justice auprès de son nouvel ami.
Pleinement intégré au gang de « La horde sauvage » que Beauregard reforme rapidement en retrouvant ses comparses en planque ou en prison, Brad va prendre goût au pouvoir que donne la sensation d’un colt dans ses mains. Il va mettre sa redoutable intelligence au service de la bande, lui permettant de réaliser des coups brillants. D’abord bienveillant envers la communauté de laissés-pour-compte (« cow-boys sans bétail, chercheurs d’or sans mines ») qui bénéficie de la protection des hors-la-loi, il va rapidement abuser de son pouvoir et supplanter Beauregard, profitant du fait que ce dernier ait été capturé lors du dernier hold-up, avorté suite à la trahison d’un agent infiltré de la Pinkerton, Siringo (William Berger). Les autorités, excédées, organisent une répression impitoyable et lance une milice de mercenaires sur le refuge de la horde. Peu réchappent au massacre, et Beauregard, après s’être évadé, rejoint les rescapés en fuite, pour trouver à leur tête un Brad persuadé que tout n’est pas perdu. Alors que Siringo veut épargner ces survivants et parvient à renvoyer les mercenaires en les menaçant, ce dernier tire sur l’agent de la Pinkerton. Beauregard se retrouve devant un dilemme : abattre son ami pour l’empêcher de tuer celui qui a sauvé des femmes et des enfants, ou le laisser faire. Le final épique de cette tragédie résonnera longtemps chez le spectateur…
« Le Dernier face à face » bénéficie d’une jolie édition DVD qui comporte un passionnant bonus dans lequel Alain Petit (l’auteur du livre présenté ci-dessous) raconte la genèse du film, et les conflits d’ego entre ses deux stars, qui voulaient chacun étoffer leur rôle au détriment de l’autre. Une tension qui contribua à l’efficacité de leur tandem à l’écran. A ce duo impeccable s’ajoutent les « gueules » habituelles du genre : William Berger, Aldo Sambrell, Nello Pazzafini, Frank Braña…
Un des fleurons du genre donc, qui s’appuie en outre sur un scénario solide co-écrit par Sergio Donati (qui collaborera avec Leone sur « Il était une fois dans l’Ouest » et « Il était une fois la révolution »), une réalisation efficace qui réserve même quelques plans iconiques, et bien sûr une immense musique d’Ennio Morricone (chroniquée en Classique du Mois dans le Daily Movies n°47).
Le dernier face à face
De Sergio Sollima
Avec Gian Maria Volonte, Tomas Milian, William Berger
Seven Sept