Le cycle cinéma(s) et psychiaterie(s) se poursuit ce mardi en compagnie de Rachel Bénitah, qui a fabriqué des images à la clinique de La Borde, aux côtés de Marie Depussé, une écrivaine qui a vécu et écrit à la Borde. Si l’envie de creuser déjà, ses livres merveilleux sont édités chez P.O.L.
Shana cherche du travail, elle a besoin d’argent pour quitter la France et ses mauvaises fréquentations. Mais le passé qu’elle cherche à oublier n’est jamais loin. Et d’ailleurs, veut-elle vraiment l’oublier ?
En mai, il y aura aussi LE ROI DAVID, moyen-métrage de Lila Pinell qui prolonge certains films qu’on a montrés ici, notamment CA BRÛLE de Lola Quivoron ou ceux de Rayane Mcirdi. Ces films, on pourrait dire qu’ils composent une sorte d’histoire de la galère en France. La galère entendue comme ce qu’elle fait aux corps et aux imaginaires. Ici, c’est Shana, la vingtaine, sans boulot et le cœur éclaté par une rupture amoureuse. De là, il y a des tentatives d’insertion de la part de Shana, mais il ne suffit pas de “traverser la route pour trouver du boulot” pour reprendre les termes de Macron. Cet état de fait, le film le reconnaît et ne fait ainsi pas croire à l’ascenseur social ni même n’invente des solutions qui n’existeraient pas. Sans misérabilisme aucun, le film se tient simplement près de son personnage et de ses moyens. Et cela suffit pour restituer la dignité de Shana et de la mettre à l’égale de nous tou.x.t.es.
Tom et Nathan
LE ROI DAVID,
Lila Pinell, France, 2021, 41′,
vo français
LU 15, ME 17, VE 19, 20h30
DI 21, 19h00
À QUELLE HEURE PASSE LE TRAIN? RENCONTRES CINÉMA(S) ET PSYCHIATRIE(S) CHAPITRE 3: UNE AUTRE FENÊTRE SUR LA BORDE
Invitation à pénétrer dans l’univers de l’écrivain Marie Depussé. Le film, à la faveur d’une rencontre, nous entraîne dans une intimité aux marges de l’ordinaire, à la lisière d’un monde dans lequel résonne la parole des « fous». Reflet d’une vie faite d’engagements, de littérature et de fraternité, c’est aussi un voyage singulier, d’une apaisante étrangeté.
On continuera d’ouvrir cette fenêtre sur les liens entre la psychiatrie et le cinéma. Au fond du terrain de la Clinique de La Borde, il y a une écrivaine, Marie Depussé, qui est restée là, dans une cabane, pendant des décennies et qui a activement participé à la vie du lieu. Rachel Bénitah a lu ses livres et a souhaité aller à sa rencontre. Ainsi ce film, VIVANTE À CE JOUR (2011). Plus qu’un simple portrait, il est question ici de montrer la littérature au travail, comment elle est partagée et comment elle relève aussi du soin accordé aux usagers et usagères du lieu. Alors, on a un aperçu de ce à quoi ont ressemblé les séminaires – si on peut les appeler comme ça – qu’a donné Marie Depussé à La Borde. À savoir que la mise en circulation d’un texte entre nous toutes et tous – qui qu’on soit – est un moyen possible de former un corps/chœur collectif (on se tient ensemble autour d’une table et ça fait du bien). À condition bien sûr de se donner beaucoup de temps. Cela, le film le laisse très bien sentir. Qu’au fond, à La Borde, il y a une certaine attention au temps, à l’attente et à la patience pour que la rencontre puisse advenir.
Tom et Nathan
VIVANTE À CE JOUR,
Rachel Bénitah, France, 2012, 70’,
vo français
MA 16, en présence de Rachel Bénitah
Sara Gómez, on pourrait l’associer à une constellation de cinéastes femmes révolutionnaires apparue dans les années 70 au quatre coins du monde. Parmi elles, il y a Sarah Maldoror, Safi Faye, Djoura Abouda, dont on a déjà montré leurs films au Spoutnik. Dans leur cinéma, la question décoloniale y est primordiale. Décolonial jusqu’au processus même de fabrication d’un film, puisque tous les codes du cinéma dominant y sont détournés au profit d’un autre langage, celui qui permet justement de se tenir sincèrement du côté des minorités et de participer à leur émancipation. On a découvert son long-métrage DE CIERTA MANERA (1974-1977) il y a peu de temps. Et on s’est retrouvé renversé devant la liberté que se donne cette cinéaste. De prime abord, une simple histoire d’amour entre un ouvrier et une institutrice dans le Cuba de l’après-révolution. À partir de ce canevas s’engage toute une étude complexe sur les voies à suivre ou non pour pérenniser le socialisme. Le film devient alors un immense sac de nœuds, un bloc de tensions tant les questions s’accumulent: scolariser ou pas, moderniser ou pas, travailler ou pas, … Sara Gómez répond à ces questions non via le récit officiel et les images canoniques de la révolution mais prend le parti des femmes et des populations afrodescendantes, laissant voir par là qu’il n’y a qu’elles pour véritablement fédérer le peuple cubain. (Tom et Nathan)
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À travers l’histoire de la construction d’un quartier de La Havane par ses propres habitants, Sara Gomez interroge, avec énergie, la société qui l’entoure, en plein chamboulement social. Elle tente de comprendre cette Révolution sans se voiler la face, en se rapprochant au plus près des marginaux, ces oubliés de la société. Le film combine admirablement bien documentaire et fiction, en mélangeant des acteurs professionnels et les habitants du quartier, pour s’approcher des transformations individuelles qui ont traversé la population cubaine d’alors. De cierta manera propose une analyse des rapports complexes existant entre l’oppression des femmes et le culte de la virilité et aborde également la question des différences de races et de classes à Cuba depuis la révolution des années 70.
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Sara Gómez était issue de l’intelligentsia noire de Cuba et on la considère aujourd’hui comme la première cinéaste féministe de l’île [10], ayant toujours défié le machisme cubain post-révolutionnaire sous toutes ses formes. Ses films sur les jeunes, les femmes, les afro-descendants et leurs cultures sont des portraits postcoloniaux d’une grande lucidité et fermeté morale et politique. Partisane du documentaire de parole, elle a choisi une autre voie que celle d’Álvarez et Guillén Landrián, greffant des éléments du cinéma anthropologique et de recherche culturelle aux enquêtes sociologiques du cinéma direct. Et pourtant, Gómez a refusé toute obligation de neutralité et d’objectivité, son point de vue est déclaré et exposé à l’image. Intervieweuse, elle apparaît dans ses films aux côtés de ses interlocuteurs, témoignant d’un besoin intime de vérifier dans le dialogue leur bienveillance et leur franchise. Au montage, Gómez évite la belle forme et en donnant à ses films un savant déséquilibre et un manque de style recherché, elle trouve sa signature d’autrice et gagne le respect du le milieu très masculin de l’ICAIC. Sarita a été la première cinéaste à se raconter devant la caméra, revendiquant sa propre vision subjective et son corps, sa mémoire et sa pensée, incarnant ainsi un urgent besoin de décolonisation à la fois politique, idéologique et identitaire, pour briser définitivement les liens de la société cubaine avec les valeurs de la tradition. (Federico Rossin)
DE CIERTA MANERA,
Sara Gómez, Cuba, 1974, 79’, Vo,
sous-titré français
JE 18, 20h30