Dans l’article « À quoi rêvent les critiques ? », qui fait office d’introduction à l’incontournable livre de François Truffaut « Les films de ma vie », le cinéaste analyse les rapports entre les créateurs et ceux qui les jugent.
« La seule question qui se pose à tous ceux qui se révoltent contre les critiques défavorables est celle-ci : préféreriez-vous prendre le risque que la critique ne parle jamais de vous et que votre travail ne fasse jamais l’objet d’une seule ligne imprimée, oui ou non ? » Avec son passé de critique – aux « Cahiers du cinéma » notamment, il n’est pas étonnant de voir le réalisateur des « Quatre Cents Coups » et du « Dernier Métro » s’intéresser à l’ambiguïté des relations entre réalisateurs et journalistes. C’est précisément cette ambiguïté qui se retrouve au cœur du documentaire de la Portugaise Maria de Medeiros, essentiellement tourné en 2002 à Cannes lors de la 55ème édition du Festival, et qui s’inscrit dans la lignée de la réflexion de Truffaut.
Le sujet est passionnant et Cannes était indéniablement le meilleur endroit pour recueillir les avis des plus grands noms du milieu. Tour à tour, réalisateurs, critiques et même des attachés de presse – qui ont la lourde tâche d’assurer le lien entre les deux – vont ainsi se succéder devant la caméra de la réalisatrice (également actrice, connue pour son rôle dans « Pulp Fiction ») et faire part de leur point de vue sur la question. Comme l’indique le titre, c’est sur le mode de la relation de couple tumultueuse que sont présentées les différentes interventions, ce qui n’est pas sans rappeler l’ambigüité déjà soulevée par Truffaut.
Les premières minutes annoncent la couleur : le film s’ouvre sur une intervention de Ken Loach qui déclare que « la meilleur analogie sur les relations entre artistes et critiques est celle de la relation entre un lampadaire et un chien. Les chiens étant les critiques qui utilisent les artistes comme des lampadaires. » La suite n’est pas moins triste, puisque c’est au tour de Pedro Almodóvar de dire que « ’il n’y aura jamais de bonnes relations entre les cinéastes et les critiques ». Le ton est donné mais, rassurez-vous, la suite gagne en subtilité.
Maria de Medeiros construit son documentaire en posant une série de questions à ses intervenants, tous plus prestigieux les uns que les autres – les deux réalisateurs précités sont suivis de David Cronenberg, Wim Wenders, Atom Egoyan, Manoel de Oliveira, Christophe Honoré, Carlos Reygadas, Elia Suleiman et des grands noms de la critique internationale. Qu’est-ce qu’un bon critique ? Un bon film ? Comment travaillent les critiques ? Votre pire souvenir avec un journaliste ou, respectivement, avec un réalisateur ? Les mots les plus touchants et les plus blessants ? Français et Américains perçoivent-ils le cinéma différemment ?
Si les interventions de certains journalistes ne sont pas toutes indispensables (on se demande bien qui a eu l’idée de filmer le critique des Inrocks Serge Kaganski au lit en train d’essayer de parler de métaphysique), certaines témoignent d’une authentique réflexion sur le rôle et la nécessité de chacun. On apprécie tout particulièrement ces mots du critique Gérard Lefort qui dénonce « l’hystérie de certains journalistes qui se croient plus artistes que les artistes au point de vouloir expliquer aux cinéastes le film qu’ils auraient dû faire. » Propos qui trouvent d’ailleurs un écho dans la bouche de David Cronenberg lorsque ce dernier déplore le fait que, très souvent, la plupart des critiques qui sont en réalité de simples chroniqueurs « font leur autopromotion et qu’ils l’imposent sur vos films. »
Malheureusement, la qualité technique du documentaire de Maria de Medeiros laisse à désirer. Image de très mauvaise qualité, aucun sens du cadrage, montage coupé à la serpe et musique irritante passée en boucle… Vous l’aurez compris, « Je t’aime… moi non plus » n’est pas un documentaire d’esthète (n’est pas Jean-Stéphane Bron qui veut) mais vaut largement le détour pour les nombreux témoignages qu’il contient et pour la complexité de la réflexion qui en découle. Et surtout, le DVD est généreusement fourni en bonus : plus de 4 heures d’entretiens – avec des réalisateurs (Almodóvar, Cronenberg, de Oliveira, Suleiman, Wenders) et de nombreux critiques – qu’on aurait tendance à trouver plus intéressantes que le documentaire lui-même.
Je t’aime… moi non plus : Artistes et critiques
De Maria de Medeiros
Avec David Cronenberg, Pedro Almodovar, Ken Loach, Wim Wenders, Michel Ciment, Jean-Michel Frodon…