Depuis sa première nomination en compétition à Cannes avec « Les Destinées Sentimentales » (2000), l’ancien critique de cinéma français Olivier Assayas est un habitué de la Croisette et de ses accueils en demi-teinte. Il aura fallu attendre seize ans pour que le réalisateur décroche enfin son premier prix cannois, celui de la mise en scène (remis ex-aequo avec Cristian Mungiu) pour « Personal Shopper ». Un film de fantômes ayant défrayé la chronique, où il retrouve l’américaine Kristen Stewart deux ans après « Sils Maria ». Discussion au bord de mer, au lendemain de la première projection publique.
« Personal Shopper » traite en grande partie de l’existence possible de fantômes et de l’au-delà. A l’écriture des premières lignes, le monde de la mode faisait-il déjà partie de votre idée ?
C’est arrivé très tôt dans l’histoire, en effet. « Personal Shopper » est arrivé à moi d’une manière assez spéciale. J’étais censé tourner un film de genre au Canada, avec un casting et un budget conséquents, mais le projet est tombé à l’eau une journée avant le début du tournage. C’était assez dur à encaisser. Une semaine après, j’étais à mon bureau à Paris et réfléchissais déjà à quel serait mon prochain film. J’avais besoin de quelque chose qui me donne de l’énergie et me motive, afin d’oublier cet épisode malheureux. Je voulais faire quelque chose de contemporain, avec un personnage moderne qui vive à Paris, qui prenne le métro, qui ait un smartphone et qui conduise un scooter. Je voulais justement confronter une jeune personne, habituée à l’excessivité des nouvelles technologies et l’excentricité du monde moderne qui s’écarte de plus en plus de toute forme de spiritualité, à un questionnement profond quant à l’existence d’un au-delà. L’industrie de la mode représente pour moi parfaitement les excès matériels de la société actuelle. C’est ce que j’ai voulu explorer chez ce jeune personnage. Le sentiment universel du deuil qui va se heurter à ce monde vidé de toute spiritualité.
Parlons de votre relation avec votre actrice, Kristen Stewart. Il semblerait que le film soit écrit pour elle, comme si elle était indispensable à cette histoire.
Tout à fait. Je ne pense pas que j’aurais fait ce film si je ne l’avais pas connue. Quand j’ai commencé à écrire, j’étais à moitié conscient qu’il lui serait destiné, mais j’avais très peur qu’elle n’aime pas le scénario, qu’elle le trouve trop sombre, trop violent ou trop bizarre. Je l’ai d’ailleurs écrit en français à la base, pour garder la possibilité qu’une autre actrice prenne le rôle si Kristen refusait. À chaque fois que j’écris, je suis dépendant de la décision de l’acteur ou l’actrice à qui j’ai pensé pour mes personnages. Kristen me fascine, elle est l’actrice la plus courageuse que j’ai rencontrée. Elle se fiche des codes d’Hollywood et ne pense jamais à sa carrière. Elle fait les choix qui lui plaisent et qui la stimulent.
C’est la première fois que vous vous risquez dans le genre fantastique. N’avez vous pas peur de déconcerter votre public ?
Il y a deux façons de capter son public. Le faire à la façon d’Hollywood et des TV Shows, qui ont tendance à prendre leurs spectateurs pour des idiots capables de réagir à un seul type de stimuli, et dont la seule préoccupation réside à faire à tout prix des suites pour l’argent. La deuxième manière d’aborder le cinéma est de considérer le spectateur comme plus intelligent que nous. Je pense que c’est avec cette approche que j’écris mes films. Vous savez, le spectateur vit dans le monde réel contrairement au réalisateur ou à l’auteur, constamment dans une bulle afin d’imaginer son histoire. Quand j’ai écrit « Personal Shopper », je savais que mon public allait comprendre mieux que moi cette réalité dont je parle et que j’essaye de montrer à l’écran.
Est-ce pour ces raisons que vous avez choisi d’orienter votre intrigue sur des échanges de SMS, moderniser le thriller en utilisant les nouvelles technologies ?
J’essaie de représenter le monde d’aujourd’hui comme je le vois. Le smartphone fait aujourd’hui partie intégrante de nos vies. Il a redéfini notre manière de communiquer avec les autres. D’une façon très intéressante d’ailleurs si on l’analyse : les e-mails sont plutôt réservés à notre vie professionnelle, alors que les SMS sont une sorte de poésie moderne (rires). Regardez le temps que l’on prend à choisir ses mots, à placer la ponctuation, être précis pour être sûr de provoquer le bon effet sur notre destinataire. À l’image de Maureen dans le film d’ailleurs. Il est vrai que baser une intrigue sur des échanges de textos n’est à l’origine pas très cinématographique, mais si l’on y pense vraiment, ça crée une certaine fascination qui s’imbrique parfaitement dans le déroulé d’un film.
Vous mêlez d’ailleurs le fantastique au drame et au thriller.
Je ne pense pas qu’on puisse ranger ce film dans un genre en particulier. J’utilise des éléments du cinéma de genre, puisque ils sont pour moi nécessaires à l’histoire. En empruntant certains codes du genre fantastique, cela permet de créer la confusion du spectateur, le questionnement sur l’existence réelle d’un esprit, d’un fantôme. Sans ça, il n’y aurait aucun intérêt et personne ne croirait au récit. Cela permet de faire un parallèle entre notre réalité et la fiction, de se rapprocher du personnage et d’avoir les mêmes doutes qu’elle, créer une connexion physique avec le spectateur. C’est pour ces raisons que j’ai toujours été très attiré par le cinéma de genre. Je suis d’ailleurs très bon public lorsqu’il s’agit de films d’horreur, je suis souvent le premier à être effrayé (rires).
Connaissant votre affection pour le cinéma asiatique, essayez vous de vous rapprocher des films de fantômes propres à cette culture ?
Ce n’est pas tant leur façon de faire un film de fantômes, mais plutôt leur rapport avec la spiritualité que j’essaye d’explorer. Ils ont une approche de l’au-delà qui est très étroite avec le monde des vivants, ils conservent une certaine connexion et des croyances spirituelles très fortes contrairement à l’Occident. En Asie, les fantômes font parti des discussions, de la vie de tous les jours. C’est sûr que cette vision m’a influencé dans l’écriture de « Personal Shopper ». Si l’on me demande aujourd’hui si je crois aux fantômes, bien sûr que non. Mais si l’on parle de présences qui pourraient vivre autour de nous et se manifester, à ce moment là oui…