Jafar Najafi, réalisateur iranien, était présent au Festival Black Movie 2023 pour présenter son dernier film. Alone est une émouvante réalisation qui semble s’approcher de la fable tout en touchant par son authenticité : il s’agit de l’histoire, à inspiration autobiographique, d’Amir, qui se révolte contre le mariage forcé de ses deux jeunes soeurs.
Rencontre, sous le signe du chiffre 3, avec un réalisateur qui fait bouger les lignes.
Portrait en trois temps
Jafar Najafi, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de Daily Movies ?
Je m’appelle Jafar Najafi, je suis réalisateur de films et en particulier de documentaires. Mon travail a été présenté dans un certain nombre de festivals, parmi lesquels Leipzig et Venise. Alone est mon troisième film.
Quels sont trois réalisateurs importants pour vous ?
Tout d’abord, je pense à Abbas Kiarostami il s’agit du réalisateur que j’associe le plus à l’enfance. Ensuite, Coppola et Scorsese, pour leur style de réalisation que j’affectionne beaucoup.
Pourriez-vous indiquer trois dates importantes pour votre carrière de réalisateur ?
Les années 1998, 2019 et 2022.
1998, car il s’agit d’une date remontant à mon enfance. J’étais alors dans une situation similaire à celle décrite dans le film Alone. J’avais de nombreuses blessures sociales et je me suis promis de faire quelque chose pour guérir. J’ai travaillé jusqu’alors pour mettre en images ce que j’ai vécu.
2019, car il s’agit de l’année où le fruit de ce travail sort pour la première fois.
2022, enfin, car grâce à mon film Alone, je suis parvenu à retirer le poids d’une tradition très forte qui pesait sur mes épaules ; il s’agit là d’une victoire personnelle très forte.
Alone, le film : tour d’horizon en 3 questions
La réaction du public à votre film a été très positive. Est-ce que vous vous y attendiez ?
La réaction du public est extrêmement importante pour moi ; c’est toujours cela que j’ai en tête lorsque je travaille, c’est pour le public que je réalise. Evidemment, j’ai été très heureux de la réaction positive du public face à Alone. Cela m’a rassuré quant au style que j’avais choisi pour ce film.
Parlons justement de votre style. Parmi les choix que vous avez effectués, a-t-il été difficile de raconter une histoire parlant de l’Iran, tout en ayant en tête un public étranger ?
J’ai toujours eu envie qu’on me questionne sur mon style, alors merci beaucoup pour cette question ! J’ai choisi ce style de réalisation car en général, le style classique est très critiqué. Le public, bien souvent, ne patiente même plus jusqu’à la fin du film lorsqu’il est face à quelque chose de trop classique. Alors, lors de mon travail de montage, j’ai tâché d’incorporer des éléments d’histoire pour attraper le spectateur, pour le prendre en otage en quelque sorte – pour qu’il n’ait pas envie de quitter la salle. Je suis heureux à l’idée d’avoir trouvé l’équilibre permettant de faire passer mon message. C’est un peu comme si je lançais un appât au spectateur, pour l’attirer progressivement à la fin de mon film.
Le plus important pour moi, c’est le personnage principal du film – Amir – c’est lui que j’ai envie de sauver par cette démarche. C’est l’essentiel pour moi.
Je fais partie des réalisateurs qui ne quittent jamais vraiment leurs personnages – je reste avec eux jusqu’à l’aboutissement de tout ce que nous avons entrepris.
Votre film parle aussi d’équilibre – entre la tendresse de l’amour et la violence de la tradition, entre l’enfance et l’âge adulte…
Je suis vraiment heureux de la manière dont vous avez perçu les choses. Cette question m’émeut, parce que je souhaiterais qu’en Iran également, on puisse regarder le film de cette manière. C’est exact – le film parle d’amour, celui qu’Amir porte à ses sœurs, et celui que ces dernières ont pour leur enfance. Amir, lui, n’a pas pu vivre d’enfance et il souhaite protéger celle de ses sœurs. Il sait bien ce qui attend ses deux sœurs et il s’efforce de les garder dans la pureté dans l’enfance plutôt que de les laisser partir dans la noirceur du mariage forcé.
Dans cette région, les enfants dès l’âge de 6 ans sont forcés de travailler aux champs ou avec les troupeaux. Ils doivent également aider leurs parents. C’est une obligation pour tous, garçons ou filles. Amir n’a jamais pu être petit – il est né grand, en quelque sorte.
Quels sont vos projets futurs ? Va-t-on vous retrouver dans le format documentaire ?
J’ai trois projets en route actuellement. Le premier porte sur les droits de l’enfance. Le deuxième et le troisième portent sur les droits des femmes. Je suis actuellement au stade de la recherche pour ces projets. Je peux garantir une chose, c’est que ces projets seront tous conçus d’une manière différente : j’aime changer d’un film à l’autre.
Nous vous suivrons de près. Merci, Jafar Najafi, pour cet échange.
C’est moi qui vous remercie. Je suis très heureux d’avoir pu échanger avec vous, mais également d’avoir pu prendre part au festival Black Movie. Prendre part à une distribution à l’international permet d’espérer qu’un jour mon film puisse être vu en Iran.
À l’heure actuelle, ce n’est toujours pas le cas ?
Je serais heureux que mon film soit vu en Iran, mais ce que je fais y est actuellement considéré comme appartenant au “style noirceur”, qui est censuré. C’est-à-dire qu’il s’agit de films considérés comme donnant une image noire et négative de l’Iran. Beaucoup de choses nous sont interdites en Iran, et nous tâchons de résister de toutes les manières possibles ; c’est cela qui se passe dans Alone, avec ce petit garçon qui tâche de résister aux traditions tout en les respectant.
Alone
Iran – 2022 – Documentaire – 61min
De Jafar Najafi
Giornate degli Autori
Prochainement au cinéma