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dimanche, décembre 22, 2024
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Interview : Hugh Welchman, co-directeur du film « La Passion Van Gogh »

Hugh Welchman, co-directeur du film « La Passion Van Gogh » (« Loving Vincent » de son titre original), a accepté de se livrer au sujet de ce film entièrement peint à la main. Genève, lundi 9 octobre, rencontre à l’anglaise autour d’une tasse de thé : une discussion riche et un réalisateur passionné.


« Loving Vincent » est le tout premier film d’animation au monde à être fait entièrement de peintures à l’huile. Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur le déclencheur du projet ? D’où est née l’idée ?
C’est ma femme Dorothy qui a eu l’idée il y a maintenant 10 ans. Elle est elle-même peintre, et lorsqu’elle a eu son diplôme elle a travaillé dans le milieu du cinéma pendant 5 ans, mais la peinture lui manquait terriblement et elle sentait qu’elle ne poursuivait pas vraiment son propre rêve artistique. Elle voulait pouvoir combiner sa passion pour la peinture à celle pour les films, alors elle a décidé de peindre un film – à la base, ça devait être un court-métrage et elle allait mettre en scène ses propres peintures. Mais lorsqu’elle a fait des recherches pour son projet, une des lectures qu’elle a faites était les lettres de Vincent Van Gogh. À ce moment elle a eu une sorte de révélation et elle s’est dit que plutôt que mettre en scène ses propres peintures, elle voulait donner vie à ses peintures à lui, raconter son histoire. Elle avait déjà lu les lettres lorsqu’elle avait quinze ans, visité le musée Van Gogh à l’âge de 16 ans, et à 20 ans elle a écrit un essai sur le lien entre les maladies mentales et la créativité – un de ses sujets principaux était Vincent, alors il est dans sa vie depuis un bon moment déjà ! Donc, elle voulait faire ce court-métrage, elle a obtenu le financement pour le projet, puis elle m’a rencontré, on est tombés amoureux, et elle a laissé « Loving Vincent » de côté pendant 2 ans. Pendant ce temps, j’ai eu moi-même le temps d’apprendre à connaître également Vincent. Elle a beaucoup de livres à son sujet dans son appartement, et j’ai appris tellement de choses en les lisant. J’ai aussi énormément voyagé, j’ai visité de nombreux musées et dans chaque musée où Van Gogh était exposé, il y avait toujours une foule immense ! Alors j’ai dit à Dorothy : « Il y a tellement de gens qui admirent Vincent. On devrait carrément en faire un film ! »

Et à ce moment vous avez décidé ensemble d’en faire un long-métrage plutôt qu’un court-métrage ?
Oui ! Au début elle me disait « heu c’est un projet un peu fou et flippant », et puis on s’est assis et on y a vraiment réfléchi, parce qu’on avait déjà tous les deux travaillé dans les films d’animation, et l’animation est toujours un processus très lent, celui-là serait juste… le plus lent ! [Il rit]

J’imagine… Et donc, combien de temps cela vous a pris ?
Dorothy a travaillé sept ans à temps complet sur le film, et pour ma part j’ai travaillé dessus six ans à temps complet. Il nous a fallu quatre ans pour l’écriture du scénario, la recherche autour du projet et pour trouver le financement – c’était vraiment la plus grande partie, et non pas la peinture. La préparation des références visuelles pour les peintres nous a ensuite pris six mois et il a fallu deux ans pour peindre toutes les toiles du film.

Vous avez choisi de vous intéresser à la mort de Van Gogh à travers le point de vue des différents personnages qui l’ont rencontré durant les derniers mois de sa vie à Auvers-sur-Oise. Ainsi, tout ce qu’on apprend sur sa mort dans le film est basé sur des rumeurs ou des suppositions de ces personnages. Pourquoi avoir choisi cette perspective particulière – l’attention sur sa mort et les spéculations qu’elle a engendrées ?
Il y a plusieurs raisons à cela, et elles sont venues assez naturellement. L’idée de base était de donner vie à ses peintures et de raconter son histoire. On a décidé de se concentrer sur ses peintures faites en France, où il a vécu les trois dernières années de sa vie. Donc on allait donner vie aux personnages qui étaient autour de lui dans ses dernières années, et ces personnes-là nous révèleraient comment Vincent était vers la fin de sa vie. Les gens comme Adeline Rivaud, Dr Gachet, ont fait des déclarations sur Vincent après sa mort, et n’ont jamais rien écrit sur lui lorsqu’il était encore en vie. Donc nous créions ce personnage en fonction des dépositions qui avaient été faites à son sujet après sa mort.

On voulait aussi résoudre le mystère autour de sa mort : pourquoi Vincent s’est-il suicidé ? Il avait énormément de problèmes, il se sentait seul, souvent malheureux, et avait des relations compliqués avec les personnes autour de lui. Mais à Auvers, il semblait être dans de bonnes conditions, si l’on compare à d’autres situations. Alors pourquoi s’est-il suicidé ? Qu’est-ce qui se passait dans sa tête dans les dernières semaines de sa vie ? C’était un mystère pour nous, et on avait également  des questions concernant le dernier jour de sa vie: où avait-il mis le pistolet, pourquoi s’est-il tiré dessus, pourquoi on n’a jamais retrouvé ses affaires… ? Et surtout pourquoi, si il s’est vraiment retrouvé dans le champ évanoui pendant des heures – tout en sachant que c’est un dimanche et qu’une église avec deux services par jour se trouve proche du champ –, qu’il s’est traîné hors du champ blessé, pourquoi personne ne l’aurait vu ? Donc voilà, il y avait toutes ces questions, et on voulait savoir les réponses. Et en même temps que l’on écrivait le scénario, une biographie de Van Gogh a été publiée en 2010 et remettait sur le tapis les rumeurs au sujet d’un garçon qui aurait tiré sur Vincent. On a fait un travail de détective, et on s’est dit que ce serait une bonne idée de justement présenter ces différents points de vue. C’est assez difficile de savoir qui Vincent était réellement… Quand on lit ses lettres, on découvre une si belle communication, et en voyant ses tableaux, tellement d’émotions. Mais si on s’arrête à ce que les gens qui l’ont rencontré disent de lui, Vincent était quelqu’un de très difficile à vivre. Mais cet homme avait une passion incroyable et une vue du monde qui était tout sauf cynique. Même vers la fin de sa vie, après tout ce qu’il lui est arrivé, il était généreux envers le monde, mais très critique avec lui-même.

Et bien sûr, des tonnes de biopics sur Van Gogh ont déjà été faits, et vont encore être faits, avec des grands acteurs pour l’interpréter. On s’est dit qu’il serait plus intéressant de laisser les peintures et les lettres parler d’elles-mêmes. C’est elles qui racontent le film.

Ça devait être particulièrement difficile de trouver l’équilibre entre les peintures et les lettres afin de créer le scénario le plus juste possible…
Absolument. C’était la partie la plus difficile de toute la création du film : associer les peintures à l’histoire. Et bien sûr on voulait aussi notre propre scénario dramatique, donc parfois dans notre travail de détective on avait envie de rebondir différemment – mais c’était nous deux contre l’histoire, et ni l’histoire ni les tableaux ne nous permettaient ces changements.

Donc vous essayiez tout au long du processus d’être le plus fidèle possible aux peintures et à leur signification dans la vie de Van Gogh ?
Oui, on avait certaines règles. Evidemment, on se permettait de remplir les trous qu’il y avait dans l’histoire. Par exemple, rien n’est écrit au sujet de Louise Chevalier ou Armand Roulin. Alors ces personnages on pouvait les créer selon les besoins du film. Mais le postier Roulin, le Père Tanguy, Dr. Gachet et Vincent, eux on les connaît de sources historiques donc on devait écrire ces personnages pour le film de manière cohérente avec les données historiques. Notre règle principale était de ne rien faire qui pourrait aller à l’encontre des données historiques. La deuxième règle que nous avions concernait les couleurs : les séquences colorées du film – qui sont le présent dans le film – devaient correspondre aux couleurs des tableaux de Vincent.

Comment avez-vous sélectionné les peintres qui ont travaillé sur le film ? Est-ce qu’ils ont dû suivre une formation particulière afin de maîtriser le style de Van Gogh ?
On a eu beaucoup de chance concernant les artistes, puisqu’on a eu 5000 postulations de partout dans le monde. On en a invité 500 d’entre eux pour participer à une audition sur 3 jours. Dorothy et Pietr Dominiak se sont occupés du casting. De ces 500, on en a invité 150 pour une formation : 100 heures de formation dans le style de Van Gogh, et 100 heures d’entraînement à l’animation. Puis ils ont rejoint la production. Ils venaient de 20 pays différents au final, avec des gens qui venaient même depuis le Japon !

Et qu’en est-il des acteurs ? Ont-ils été choisis principalement pour leur ressemblance aux personnages des tableaux ?
On voulait des personnes célèbres pour des tableaux célèbres. Et on voulait absolument trouver des acteurs qui ressembleraient assez aux tableaux afin qu’une fois qu’on leur mettait le costume et le maquillage ils se rapprocheraient le plus possible des portraits. On voulait bien sûr un jeu d’acteur puissant, ça a toujours fait partie des critères importants. On a cependant rencontré des difficultés à trouver le bon acteur pour Dr. Gachet. C’est seulement quelques semaines avant le début du tournage que notre directeur de casting nous a envoyé Jerome Flynn. Et je me suis dit : « Wow, c’est Docteur Gachet » ! Donc en plus d’être un excellent acteur, il ressemblait parfaitement à Dr. Gachet ! C’était aussi difficile de trouver quelqu’un de grand pour interpréter le postier – qui lui était un géant pour son époque. Mais on a trouvé Chirs O’Dowd, qui est très grand et une star incontestable. C’était parfait !

Comment avez-vous procédé avec les peintures afin d’en conserver au mieux les dimensions dans le film ?
On a décidé d’utiliser le format académique (appelé cinema Academy Ratio), car c’est le format qui se rapproche le plus de la grand majorité des peintures de Vincent. Il utilise bien sûr différentes tailles de toile, mais son utilisation la plus standard approchait ce format. Ensuite, si on avait un portrait long et fin comme le tableau « Terrasse du café le soir », on le couvrirait avec un mouvement de caméra. « Mademoiselle Gachet au piano » – ce fameux tableau que vous avez ici en Suisse à Bâle – est aussi très haut et fin… mais quand on est allés dans la maison de Dr Gachet pendant nos repérages, on a réalisé que le seul endroit d’où Vincent aurait pu peindre ce tableau était la fenêtre. Donc on a carrément utilisé le cadre de fenêtre comme cadrage pour y insérer le tableau. On trouvait des solutions qui devaient paraître le plus naturel possible.

Le film a déjà reçu d’excellentes critiques, a été largement acclamé et a notamment eu droit à une « standing ovation » en plus du prix du public à la Première mondiale à Annecy. Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès ? Quel est votre ressenti quant à la réception du film ?
Je ne m’attendais vraiment pas à cela. Quand on fait un film, on espère que les gens vont l’aimer. Nombreux sont les gens qui nous suivent depuis le début ! Mais c’est mieux de ne pas y penser pendant que l’on fait le film : on a un certain temps pour le faire aussi bien que l’on peut, et on fait le maximum. Avec Dorothy on a travaillé chaque heure qui passait pendant les six derniers mois. On n’avait pas un dimanche de congé, pas un seul. On a travaillé à Noël, à Nouvel An… Oui oui, on a passé Noël au studio, juste moi et Dorothy. Et vous savez, on se disait « c’est notre dernière chance de faire tout ce qu’on peut pour rendre le film aussi bon que possible ». La période qui a suivi la fin du film était clairement la plus difficile. Ensuite, quand j’étais à la Première mondiale à Annecy, je n’arrivais pas à entendre le film : je pouvais juste entendre si quelqu’un bougeait sur sa chaise, ou soupirait… alors oui, c’était une surprise totale. Je les ai entendus applaudir, et je me suis dit « super, ils ont l’air contents ». Mais ils ont continué d’applaudir encore et encore, et tout le monde s’est levé… standing ovation. Quel soulagement ! On pouvait donc enfin de nouveau être sains d’esprit ! [dit-il en riant]

Et qu’en est-il de la réception en Suisse ? Comment le public a-t-il réagi au film ?
Notre première projection était à Baden, pour le festival Fantoche en septembre, et ça s’est très bien passé. Et hier soir c’était notre première projection en Suisse romande : Lausanne et Genève, et les deux se sont également bien déroulés. Je suis toujours très heureux quand je vois le public car il y a des gens âgés de 13 à 90 ans. C’est génial car on a une grande mixité d’âge dans le public ! Évidemment, certaines personnes sont toujours plus intéressées par le processus d’animation du film, d’autres sont plus intéressées par l’histoire de Vincent. Ils posaient des questions pendant 45 minutes, ils étaient très participatifs.

Vous êtes très chanceux en Suisse ! Vous êtes le quatrième pays au monde à avoir le plus d’œuvres de Van Gogh dans vos musées. Il y a d’abord la Pologne, puis les Etats-Unis, ensuite la France et en quatrième position il y a la Suisse. Alors c’est plutôt pas mal !

Et maintenant… quelle est la suite pour vous ? Vous avez déjà des projets en tête ou c’est encore trop tôt pour y penser ?
Non pas du tout, j’ai effectivement plusieurs projets déjà en route. Le projet le plus immédiat que nous avons en ce moment est l’exposition de « Loving Vincent » que nous ouvrons aux Pays-Bas ce vendredi. Ce sera au Noordbrabants Museum. L’exposition contiendra 120 tableaux du film – nos préférés – et montrera aussi comment le film a été fait ainsi que le contexte historique autour du film.

Un homme aux talents multiples : Hugh a également écrit un livre en parallèle à la production du film « Loving Vincent ». Il l’a d’ailleurs bientôt terminé et compte pouvoir le publier prochainement. L’histoire se passe durant l’année après la Première Guerre mondiale – une année selon lui pleine de possibilités et d’espoir pour l’avenir – de novembre 1918 à novembre 1919. 12 histoires, 12 chapitres – un pour chaque mois. Le livre commence avec Hitler qui devient sourd lorsqu’il entend que l’Allemagne a perdu la guerre et finit avec Einstein lorsque sa théorie de la relativité est prouvée par Edison. Ou comme le dit si bien Hugh : « start with the worst, finish with the best ».

La Passion Van Gogh (Loving Vincent)
FR   –   2016   –   Animation
Réalisateur: Dorota Kabiela
Acteur: Douglas Booth, Jerome Flynn
Praesens Films
11.10.2017 au cinéma

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