Le célèbre réalisateur taïwanais Hou Hsiao-Hsien était présent à la Berlinale 2016 pour la projection en première mondiale de la version restaurée d’un de ses premiers films, « La Fille du Nil » (1987). Nous en avons profité pour l’interroger sur son dernier opus « The Assassin », prix de la mise en scène à Cannes, qui sort en Suisse ce mois-ci.
Après huit ans d’absence, aviez-vous peur d’avoir perdu la main ?
(Rires) Non, d’autant plus que pendant huit ans je suis resté très proche du monde du cinéma. J’ai accepté la présidence des Festivals de Taipei et du Golden Horse Film Festival and Awards. Durant cette période, j’ai bien sûr continué à penser à mes projets de films.
Dans le cadre des Golden Horse Film Festival and Awards, vous êtes également à la tête d’un programme qui encourage les jeunes réalisateurs…
Oui, je dirige l’institut des Golden Horse qui permet à un groupe de jeunes réalisateurs qu’on sélectionne de se former. Ils arrivent avec un scénario, et je les prends avec moi pendant un mois pour travailler autour de leurs projets respectifs.
« The Assassin » est votre troisième collaboration avec Shu Qi. Vous l’avez vue grandir en tant que femme et en tant qu’actrice…
Dès que j’ai fait sa connaissance, j’ai été épaté par sa capacité de concentration et par son implication dans son travail. C’est une actrice formidable et rare. Une fois qu’on a décidé de travailler ensemble, on est devenu très bons amis. Elle vit à Hong Kong, mais dès qu’elle a l’occasion de rentrer à Taïwan on fait en sorte de se voir. Je dois dire que si je ne la connaissais pas, je n’aurais probablement pas su qui choisir pour incarner le personnage de « The Assassin ». Il est souvent très difficile de trouver une actrice qui corresponde au rôle, et je suis heureux qu’elle ait accepté de l’endosser.
Le film est le fruit d’une adaptation. Comment lui avez-vous présenté le personnage de Nie Yinniang ? Souvent les acteurs dédaignent les rôles qui ont peu de répliques…
Il y a de cela très longtemps déjà, je lui ai mis entre les mains le récit romancé, puis une version en chinois ancien avec beaucoup de notes explicatives. Shu Qi a beaucoup aimé cette histoire, et l’a portée en elle toutes ces années. Je lui ai aussi demandé de lire des romans de sabre japonais proches, sur le plan formel, de ce que je voulais faire en adaptant le texte au cinéma. Effectivement, rares sont les rôles où les personnages sont mutiques. Là réside tout le challenge !
Chaque plan du film s’apparente à un tableau avec ses différentes couleurs et textures. La peinture est-elle une inspiration pour vous et votre chef opérateur Mark Lee Ping Bin ?
Mark a l’habitude de collectionner des peintures, et il prend beaucoup d’inspirations visuelles en photographiant ce qui l’intéresse. Que ce soit ma directrice artistique (Wen-Ying Huang), avec laquelle je travaille depuis trente ans, ou mon chef opérateur, la lecture du scénario est le dernier jalon avant qu’ils ne commencent à travailler et à me questionner sur l’aspect visuel du film. Pour « The Assassin », étant donné l’importance de la soie sous la dynastie Tang, Wen a beaucoup voyagé en Inde où on trouve un choix très important de soie. Le parti-pris de mise en scène qui nous caractérise est qu’on tourne les scènes d’intérieur dans un décor qu’on a construit, mais à l’extérieur. Cela nous permet de bénéficier des éléments naturels.
L’histoire que vous racontez se passe sous la dynastie Tang, où vous dites que les femmes jouaient un rôle prépondérant au sein du tissu social…
C’est aussi sous cette dynastie qu’il y a eu une femme impératrice au pouvoir. Quand on voit l’imagerie de cette époque, on se rend compte qu’à travers leurs attitudes, les vêtements qu’elles portaient, leur gestuelle, les femmes n’étaient pas contraintes comme à d’autres époques. A mon niveau, j’ai pu l’observer à travers ces images. Mais il faut nuancer, car les hommes sont restés maîtres de l’ordre des choses. A cette même époque par exemple, un fonctionnaire de première catégorie était autorisé à avoir une épouse, deux favorites et une dizaine de concubines…
Le film est un wuxia (ndlr : film de sabre chinois) où vous racontez l’histoire d’un assassin au grand cœur en exil. « The Assassin » est-il aussi une histoire d’amour ?
Oui, effectivement. Nie Yinniang à un choix crucial à faire entre son amour pour Tian et le maintien de l’honneur de l’ordre des assassins. A cet égard, on peut dire que c’est l’histoire d’une rupture sentimentale.
Avez-vous pris du plaisir à tourner les scènes de combats ? Etait-ce un rêve d’enfant que vous réalisiez ?
Bien sûr ! J’ai grandi avec la littérature wuxia. Mais entre les rêves, les envies et les contraintes de la réalité il y a plusieurs mondes… J’ai donc essayé d’ancrer ces scènes dans un univers réaliste. « The Assassin » ne contient pas beaucoup de scènes de combat, mais elles ont été gourmandes en temps de tournage. Je souhaitais retrouver le rythme et la justesse de l’énergie qui se dégagent de la littérature et des films de sabre japonais (ndlr : les chambaras). Il a donc été difficile pour les acteurs, qui ne sont pas des professionnels du film de sabre, de maîtriser les figures. Pour être crédible dans son rôle d’assassin, Shu Qi devait à la fois conserver la retenue de son personnage et jouer des scènes de combat.
Chang Chen avait déjà fait l’expérience du film de sabre dans « Tigre et Dragon » d’Ang Lee. Etait-il plus à l’aise ?
Oui, ça été une bonne école pour lui. « The Grandmaster » de Wong Kar-wai a encore amélioré sa technique. Je sais qu’il s’est beaucoup entraîné.
« The Assassin » bénéficie de fonds issus des mêmes financiers que The Grandmaster…
En effet, il y a une participation de la moitié du budget du film de Chine continentale par le biais de la société Métropole. Au moment où Wong Kar-wai tournait « The Grandmaster », cette société fêtait son soixantième anniversaire. Lui et moi avons bénéficié de leur générosité au moment de cet événement. C’est une société importante pour moi. A l’époque, avec mes camarades de la nouvelle vague de réalisateurs taïwanais, nous allions souvent à Hong Kong pour visionner des films produits et réalisés en Chine populaire dans leurs locaux. C’était pour nous le seul moyen de voir ces films.
Vous faites partie d’une génération de réalisateurs qui ont influencé durablement le cinéma taïwanais, chinois et mondial. Aujourd’hui les choses ont changé. Regrettez-vous cette communauté de pensée?
Il n’y a pas de regrets à avoir. Je suis conscient que cette communauté s’inscrivait dans un mouvement comparable à ce qu’il se passait en Italie, en Allemagne, en France ou encore au Japon. Aujourd’hui, les jeunes sont dans une situation totalement autre. La difficulté principale pour eux est de trouver des financements. Je pense que ce qui fait vraiment la différence entre nos époques, réside dans la facilité avec laquelle on peut produire un film de nos jours. Aujourd’hui tout le monde possède une caméra, et inconsciemment, les jeunes réalisateurs n’embrassent pas ce pouvoir à bras le corps. Ils n’ont pas l’impression, comme nous l’avions à l’époque, d’être à l’origine de quelque chose. Peut-être que ça reviendra un jour.
The Assassin
De Hou Hsiao Hsien
Avec Qi Shu, Yun Zhou, Chen Chang
Filmcoopi
Sortie le 09/03