Le réalisateur français Jean-Jacques Annaud s’est attaqué à un monument : l’incendie de Notre-Dame de Paris. Il raconte avec une précision chronologique les quinze heures qu’il a fallu aux pompiers pour venir à bout des flammes, entre le 15 et le 16 avril 2019. Bouleversé par sa rencontre avec les pompiers, il leur reconnaît les qualités qui manquent à notre société actuelle. Interview.
Quand il y repense, ses premières images d’enfant, ce sont les chimères, ces statues qui ornent la cathédrale Notre-Dame. Mais s’il n’avait pas choisi Paris, c’est à Lausanne qu’il serait venu vivre, confie-t-il. Début mars, il a profité de sa venue en Suisse romande pour passer dans les casernes genevoises et lausannoises. « J’ai tenu la lance ! (rires) », se plaît-il à raconter. Après le tournage de « Notre-Dame brûle », il a même été sacré sapeur-pompier de première classe d’honneur, une fierté. « Peu importe le lieu, les pompiers sont les mêmes partout. Ils ont la vocation d’aider les autres», déclare-t-il. Par son « souci de la chronologie », il a réalisé « un énorme travail de fouilles ». Sans compter le tri des 15’000 à 20’000 vidéos de privés qu’il a reçues après avoir lancé un appel. Une chronologie des événements que Jean-Jacques Annaud a mis un an à comprendre. « Il y aura forcément des controverses… Mais j’ai essayé d’être le plus objectif possible. Et ce n’est pas mon métier de déterminer les causes de l’incendie », dit-il. Car il n’a pas fait là un documentaire mais « une fiction basée sur des éléments réels », avec « 95% de vrai ».
Jean-Jacques Annaud, « Tout est vrai sans que rien ne paraisse vraisemblable », c’est sur cette phrase que vous ouvrez le film…
Je raconte en effet une histoire qui est tellement bizarre qu’elle semble ne pas être vraie, tant il y a une succession de malchances. Par exemple, Laurent Prades, le régisseur général de Notre-Dame est la seule personne à détenir la clé permettant de sauver la fameuse couronne d’épine. Et ce dernier se trouvait vraiment à Versailles quand il a été mis au courant de l’incendie. Son parcours pour arriver à temps est rocambolesque, mais totalement véridique. Aussi véridique que les quatre à cinq bougies qui clignotaient encore dans la cathédrale, dans la lumière de l’aube, le lendemain de l’incendie.
Les premières minutes du film sont rageantes ; on dit aux quelques premiers pompiers arrivés sur place qu’ils vont devoir intervenir seuls pour commencer, car Paris est bloqué. Les bouchons empêchent la venue des renforts…
C’est le charme de Paris, dira-t-on ! Les trottinettes vont dans tous les sens, les vélos roulent en sens interdit, les motos passent sur les trottoirs… Mais en effet, les pompiers m’ont confié qu’ils devaient parfois intervenir à moto tant la circulation est infernale. Il y a des travaux partout, et parfois pas d’alternatives prévues pour les secours.
Vous rendez un bel hommage aux pompiers. Que représentent-ils pour vous ?
Je ne connaissais pas du tout leur milieu. Mais en rencontrant tous ceux qui sont intervenus sur Notre-Dame, j’ai été bouleversé. Je me suis aperçu que j’avais là des gens d’exception. Et autant dire que je ne suis pas facilement impressionné. Ça fait longtemps que je fais ce métier et dans le milieu du cinéma, il a aussi de la poudre aux yeux. Les gens savent très bien se mettre en avant. Tandis que les pompiers, eux, ne racontent jamais les choses extraordinaires qu’ils accomplissent tous les jours. Ils sont en dehors. J’ai presque envie de dire qu’ils forment une espèce de clergé. Mais un clergé musclé, agile, sympathique et jeune. Ils sont modestes, solidaires, attentifs, dévoués, généreux et humbles. Des valeurs que l’on ne respecte plus aujourd’hui…
Vous pensez vraiment que toutes ces valeurs manquent dans le monde actuel ?
Je crois qu’elles manquent à tout le monde, oui. Peut-être que les gens préfèrent s’engueuler les uns les autres plutôt que d’être généreux entre eux. Mais personnellement, je suis fatigué de l’agressivité et de d’individualisme. J’ai envie de solidarité. Et là, je suis tombée sur un vivier. Et je peux vous assurer que sur le plateau, entre le pompier et l’acteur, je savais tout de suite qui était le pompier. Ce n’est pas le même regard…
La présence des pompiers sur le tournage était-elle nécessaire pour vous guider ?
Je travaille très en amont sur le comportement et sur les détails, car la véracité fait croire à l’histoire. Je ne suis pas un maniaque du détail, mais je ne veux pas que les spectateurs sortent de l’histoire à cause d’un détail, justement. Si un acteur ne s’est pas assez entraîné, qu’il a une gestuelle hésitante ou qu’il ne connaît rien de la psychologie de celui qu’il va incarner, les spectateurs ne se laisseront pas aller à s’identifier aux personnages, et en l’occurrence, aux pompiers. Et puis, par ailleurs, les acteurs font ce métier pour vivre des choses exceptionnelles. Alors si vous leur proposez de faire de la grimpe à mains nues le long d’une cathédrale en feu, ça change la donne pour eux. Ils y mettent du cœur.
En parlant de détail, vous avez été jusqu’à faire refaire les chaises de Notre-Dame à l’identique, celles sur lesquelles la voûte s’effondre…
Oui, on a pris le même fabricant. Je m’étais donné ce challenge de mélanger d’authentiques archives avec de la fiction, alors pourquoi faire autrement ? Et vis-à-vis des gens dont j’allais raconter l’exploit, je voulais qu’eux-mêmes ne soient pas dérangés par quelque chose qui s’éloigne trop de la réalité. D’ailleurs, certains pompiers ont la chair de poule en découvrant les reconstitutions… Encore une fois, si l’on veut vraiment embarquer les spectateurs dans l’identification des protagonistes, il faut que tout leur semble logique et humain, et que rien ne les gêne. Et pour l’effondrement de la voûte, qui s’est fait en studio, on a fait cramer le plafond. Pour que vous vous imaginiez, on parle bien de 75m3 de poutres enflammées qui tombent sur un plateau. Si j’avais dû refaire une scène comme celle-là, il y en avait pour une semaine de travail. Sans compter que les deuxièmes prises ne sont jamais aussi réussies que les premières.
Lors de l’incendie de Notre-Dame, tout le monde s’est senti un peu Français, Parisien même. Comment expliquez-vous cela ?
Comme la cathédrale est ouverte à tout le monde, et qu’elle se situe dans le plus beau quartier de l’une des plus belles villes du monde, les gens passent forcément par Notre-Dame. Mais au-delà d’être le monument le plus visité d’Europe, c’est un endroit particulier, même pour ceux qui ne sont pas religieux ou croyants. Il n’y a pas besoin d’être catholique pour être ému par ces cathédrales superbes. Il y a quelque chose dans ce symbole de la piété qui fait référence à nos ancêtres et à nos origines culturelles. Une émotion nous gagne, et elle dépasse la religion.
Notre-Dame brûle
FR – 2022
Durée: 1h50 min
Drame, Action
Réalisateur: Jean-Jacques Annaud
Avec: Samuel Labarthe, Jean-Paul Bordes, Tony LeBacq, Chloé Jouannet, Billel Sakhri, Daniel Horn, Ava Baya
Pathé Films AG
16.03.2022 au cinéma