Le Montreux Comedy Festival propose chaque année des événements et rencontres cinématographiques. Après les multiples avant-premières (en présence des équipes des films) offertes au public en 2012, l’édition 2013 a proposé à ses spectateurs une journée dédiée à l’excellente « trilogie des voyages de Xavier ». Nous avons profité de la venue du réalisateur Cédric Klapisch pour revenir sur « L’Auberge espagnole », « Les Poupées russes » et bien sûr le « Casse-tête chinois » sorti en salle le 4 décembre dernier.
– La ville choisie est à nouveau le reflet de la situation personnelle de Xavier. Pourquoi avoir choisi New York pour illustrer la complexité, la situation « bordélique » de Xavier ?
– Parce que c’est une ville comme ça ! Disons qu’il y a plusieurs raisons, d’une part c’est la ville la plus cosmopolite au monde : les gens du monde entier se retrouvent à New York et on entend vraiment parler toutes les langues dans cette ville. C’était un peu comme ce que j’ai fait dans « L’Auberge espagnole » : j’ai pris un appartement et j’ai mis cinq personnes qui parlaient toutes une langue différente. Cet appartement c’était une petite Europe. De la même façon, New York c’est vraiment une image du monde entier. J’ai donc essayé de mélanger des Chinois, des Africains, des Européens…
Au départ, on se dit que New York est une ville bien organisée à cause des avenues et des rues alignées. C’est ce que je raconte dans le film : il y a un côté 1, 2, 3, 4, A, B, C, D et au fait quand on connaît New York, on constate que ce n’est pas du tout bien rangé, c’est effectivement un grand bordel ! C’est la ville la plus dingue au monde. Il y a certainement des villes comme Shanghai ou Hong Kong qui sont peut-être plus dingues que Paris (« L’Auberge espagnole ») ou Londres (« Les Poupées russes »), mais c’est dingue ce qui se passe à New York !
– Vous retrouvez New York, la ville où vous avez suivi vos études de cinéma, l’expérience qui a nourri « L’Auberge espagnole ». Quels sont les principaux changements constatés ?
– J’y ai fait mes études entre 23 et 25 ans… il y a donc 25 ans ! A l’époque, New York était une ville assez agressive et dangereuse. Je trouve que ce n’est plus le cas aujourd’hui, elle est devenue une ville beaucoup plus courtoise. New York s’est embourgeoisée ! Au cours des années, quand je revenais à New York, tous les quartiers pauvres devenaient des quartiers bourgeois, des quartiers plus riches, plus chics, plus familiaux et donc plus « safe ». Aujourd’hui, les filles peuvent sortir le samedi soir en mini-jupes avec des talons hauts et peuvent prendre le métro à 4 heures du matin. Dans les années 80, c’était impossible ! New York est une ville qui change tous les cinq ans : quand on revient il n’y a plus les mêmes restaurants. A Paris, il y a des restaurants qui sont là depuis plus 300 ans. Il y a donc vraiment ce côté « ça change très vite » !
– Vous filmez New York « à échelle humaine » et évitez ainsi certains lieux communs. Etait-il important d’éviter le côté carte postale ?
– Oui, parce que beaucoup de gens le font ! Je me suis dit que si je faisais un film à New York je n’allais pas filmer Time Square. J’ai essayé de décrire ce qui se passe dans une rue new yorkaise, de voir à quel point ce qui peut paraître moche, peut être beau : les rues de Chinatown, les rues banales. C’est vrai que sortir de la carte postale, pour moi, ça veut dire plusieurs choses : la Statue de la Liberté ne dit pas grand-chose sur New York, ça parle d’un passé sur l’immigration. Aujourd’hui, New York ça veut dire plein d’autres choses ! J’ai été dans un quartier qui est à la frontière du Lower East Side, de Chinatown et de l’ancien quartier juif. Je trouve que ça c’est parlant sur ce que New York est devenue aujourd’hui, il y a plusieurs communautés : les gens très branchés, les familles juives et les familles chinoises qui cohabitent à trois rues de distance. C’est un des rares endroits dans le monde où cette cohabitation se passe bien.
– Vous définissez Xavier comme un « être de papier » différent de vous, mais à quel point est-il nourri de vos propres expériences ?
– Ça, c’est le travail pour moi ! Quand je dis que c’est un personnage de papier, j’espère que l’on ne le ressent pas comme cela. Je dois donner de la réalité à ce personnage, tout comme Romain Duris ! Lui et moi, on fabrique des choses pour qu’il ait l’air vrai, qu’il ne soit pas un robot ou un personnage de papier.
C’est sûr qu’il y a des choses à moi, parce qu’une des façons de le rendre vivant c’est de se référer à des émotions déjà ressenties. Dans ce film, c’est clairement lié à la séparation. Quand on a 40 ans, que l’on se sépare et que l’on a deux enfants, finalement on ne se sépare pas une seule fois : on se sépare chaque semaine ! Quand on a ses enfants une semaine sur deux, on met en place une séparation qui devient récurrente. Ce sont des expériences que j’ai vécues et que je mets dans le film. Je pars donc de vraies émotions ressenties qui se mélangent ensuite avec des choses totalement inventées : je n’ai pas une femme anglaise et je n’habite pas à New York ! Il y a tout un travail de documentation à partir de témoignages, de ce que j’observe dans les rues de New York et également à partir de suppositions pour arriver à rendre réel ce personnage. J’utilise toute cette documentation pour créer des problèmes à mon personnage qui ne sont pas forcément mes propres problèmes. Moi, j’en ai un peu moins que Xavier (rires) !
– Vous évitez à nouveau certains « lieux communs » en séparant Wendy et Xavier après le final de « conte de fées » des « Poupées russes » ! Quels étaient les pièges à éviter ?
– J’ai mis du temps à me décider car c’était violent ! A chaque fois que je disais : « Je crois que dans ce film-là, ils vont se séparer », tout le monde me disait que c’était pas possible. Il y’a vraiment ce côté conte de fées que vous avez mentionné. La fin d’un conte c’est : ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Le conte de fées a le tact de s’arrêter là où l’histoire d’amour commence ! L’histoire du « Casse-tête chinois » commence 10 ans plus tard (que « Les Poupées russes »), j’ai dû alors choisir s’ils (Wendy et Xavier) étaient encore ensembles ou séparés. Au début, j’ai pensé qu’ils allaient être encore ensembles. Comme le dit l’éditeur dans le film, c’est bien dans la vie mais l’on n’a pas grand-chose à raconter. Donc, il vaut mieux qu’ils aient des problèmes, des conflits et des drames ! Le drame est plus intéressant quand on écrit une histoire, j’ai compris que c’était ça le moteur de la comédie : plus je lui fabrique des problèmes, plus le personnage (de Xavier) est drôle !
– Pour « L’Auberge espagnole », vous disiez réaliser véritablement le film lors du montage, est-ce que ça a de nouveau été le cas avec le « Casse-tête chinois », même si la narration est plus linéaire ?
– Le « Casse-tête chinois » est plus un film écrit ! C’est un film conçu au scénario parce qu’il est issu de deux autres films. Ça me créait des paramètres plus lourds à manipuler et je ne pouvais pas faire complètement ce que je voulais. Le premier film (« L’Auberge espagnole ») est le plus libre des trois, je l’improvisais pendant le tournage et le montage. Sur celui-là, il y a toujours une liberté au montage mais c’est un film qui était à 90% écrit et réfléchi, beaucoup moins improvisé et spontané que les deux premiers. C’est aussi lié à l’âge de mon personnage principal : à 40 ans il ne peut plus être le chien fou qu’il était à 25 ans, il est plus posé et plus réfléchi ! Il y’a donc un rapport entre ma façon d’écrire et entre le personnage de Xavier qui est plus mûr et plus posé.
– La musique a un rôle extrêmement important dans votre trilogie, elle semble rythmer le montage. Comment est-elle intégrée dans votre processus créatif ?
– Sur ce film, tout a été fait après le montage. Il y a moins de musiques préexistantes comme il y avait Radiohead et les Daft Punk dans « L’Auberge espagnole ». Loïc Dury, avec qui j’ai déjà fait sept films, a composé 90% de la musique du « Casse-tête chinois ». Du coup, il y a tout un travail de conception avant le film, mais c’est vraiment pendant le montage où je lui disais que j’avais besoin d’avoir une musique sur cette scène-là, soit pour être en contre-point, soit pour aller dans le sens de la scène. Il me fabrique de la musique pour aller avec le montage.
Par contre, vous avez raison de dire que ça rythme le film ! C’est assez délicat la musique car il n’y a pas de règles, je ne suis pas dans un système américain, dans un film d’action américain où il doit y avoir une musique de film d’action. Avec Loïc Dury et son groupe Kraked Unit, on se pose toutes sortes de questions (liées à la musique) scène par scène, c’est assez mobile !
– La scène finale de l’appartement à Chinatown est un clin d’œil volontaire à celle de « L’Auberge espagnole », n’aviez pas peur de vous répéter ?
– Si j’avais très peur, d’ailleurs quand j’ai eu cette idée je me suis dit : « Qu’est-ce que je fais, est-ce que j’y vais ? Non, c’est vraiment trop copier « L’Auberge espagnole ». A chaque fois je revenais à cette scène car pour moi elle est obligatoire, c’est l’aboutissement de toutes les histoires contenues dans ce film ! Il y avait une notion de climax, tout convergeait à cette scène. Je me suis dit que plutôt que refuser, je devais essayer de ne pas copier mais aller plus loin et approfondir ce que j’avais mis en place dans « L’Auberge espagnole ». Donc forcément ça y fait référence mais il se passe beaucoup plus de choses, cette scène est beaucoup plus complexe et d’une certaine façon elle est à l’image de ce film : je passe derrière sans copier mais pour approfondir !
– Cette scène illustre parfaitement le casse-tête chinois de Xavier : malgré les apparences la vie n’est pas si compliquée !
– Exactement !!!
– A la sortie des « Poupées russes », vous aviez déjà le titre des prochaines aventures de Xavier, est-ce que c’est également le cas cette fois-ci ?
– Non, car je ne suis pas sûr d’en faire un quatrième. On verra dans dix ans ! Ce sont les spectateurs qui me donnent des idées de titres, c’est assez drôle : « Le couteau suisse » et « Le téléphone arabe » ! Il y a donc des possibilités pour un quatrième.
Un grand merci à M. Cédric Klapisch, Mme Katia Staehli et toute l’équipe du Montreux Comedy Festival pour leur disponibilité et leur gentillesse.