– « Les Combattants », votre premier long-métrage est aussi votre première sélection à la Quinzaine des réalisateurs. On imagine que le résultat final est plutôt satisfaisant…
– Oui, la sélection est une excellente nouvelle. Nous l’avons appris avec beaucoup d’émotion. A la fin du processus de fabrication d’un film, un tel accueil est encourageant. La Quinzaine est une sorte de baptême avec beaucoup de premières fois : la première projection publique, la première fois que les professionnels du secteur, nos pairs et l’équipe voient le film dans son intégralité. On a mis trois ans à élaborer le film, et d’une certaine façon, Cannes devient le moment des comptes. Dans la salle on était à l’affût de toutes les réactions, d’autant plus que le film a une dimension comique… ça passe ou ça casse ! La qualité du rire m’a plu, je n’ai pas senti de dérision envers les personnages. Le plus gratifiant reste de sentir que les émotions que je souhaitais transmettre ont été reçues. La ligne n’a pas dévié pendant trois ans et apparemment on a tapé au bon endroit.
– Quelle a été la genèse de votre film ?
– Elle est liée au souvenir que j’ai conservé des paysages des Landes de Gascogne, ceux qu’on voit dans le film. J’ai emménagé en Aquitaine à 10 ans, à un âge où notre imaginaire est encore débordant. Ce paysage a toujours eu quelque chose de mythologique et de fantasmatique pour moi. J’y suis retourné pour l’écriture du film et j’ai trouvé que, de ces territoires très verts et de ces lacs, ressortait un sentiment de stabilité et de calme. On a l’impression d’un territoire immuable, alors que paradoxalement, il s’agit d’un endroit fragile régulièrement secoué par des tempêtes l’hiver, et par des incendies l’été. Dans mon imaginaire ces paysages ont donné naissance aux deux personnages des « Combattants ».
– Le film raconte la rencontre improbable entre Arnaud (Kevin Azaïs) et Madeleine (Adèle Haenel), deux personnages aux antipodes…
– Oui, je compare souvent Arnaud à un arbre qui a des racines bien ancrées dans le sol. Son premier automatisme est la reproduction : il reproduit les gestes de son père, de son frère, il est dans cette stabilité là. Madeleine est l’incendie qu’on n’a pas prévu et qui vient changer les règles de cet univers. Au-delà de l’aspect destructeur, elle apporte une chaleur et une couleur à un paysage qui peut-être en manque.
– Qu’est-ce qui les réunit ?
– Au fond, ils expriment d’une manière différente la même angoisse. L’un survit grâce à son instinct de conservation en reproduisant des gestes et en vivant au jour le jour, sans se poser de questions. Et l’autre en restant en permanence sur le pied de guerre, prête au combat. Ces deux systèmes de survie les cloisonnent du monde. Il n’y a qu’ensemble qu’ils vont pouvoir passer de la survie à la vie.
– Ils se complètent…
– Oui complètement. Madeleine et Arnaud sont des opposés complémentaires. Madeleine est dans le plein, sa vie doit toujours être remplie. D’ailleurs, elle passe son temps à demander ce qu’ils vont faire ensuite. Arnaud n’est pas dans cette quête permanente d’intensité, il accepte le vide. Ce qui peut être perçu comme une fragilité se révèle être une force pour eux deux. Lorsqu’ils se retrouvent en mission de survie dans la forêt, Madeleine apporte sa lucidité et Arnaud sa capacité à apprivoiser les vides, l’épaisseur du temps et le présent.
– Pour le casting, votre choix s’est porté sur Kevin Azaïs et Adèle Haenel. Pourquoi les avez-vous choisis ?
– Trouver une actrice qui réunissait tous les critères pour incarner Madeleine n’était pas gagné d’avance. C’est aussi pour cela que j’ai vite été convaincu par Adèle, en trois minutes chrono pour être précis. Elle avait le charisme du personnage et dans son regard un équilibre assez fin entre quelque chose d’hyper rationnel et d’un peu perché. Tout ça collait parfaitement avec la fille que j’avais en tête. Et puis Adèle est vraiment drôle ! La clé d’accès humoristique semblait primordiale pour le personnage de Madeleine qui est dure en apparence.
Kevin Azaïs a lui été engagé le premier jour du casting pour jouer un autre rôle que celui d’Arnaud. Il a eu le rôle trois mois plus tard. Comme Arnaud, c’est quelqu’un de très généreux, avec une vraie candeur. Mais surtout il a cette capacité de regarder sans juger. Quand Arnaud regarde Madeleine il ne la juge pas, il l’accueille. C’est aussi grâce à son regard qu’on apprend à apprécier Madeleine.
– Donc pas de contre-emploi pour vos acteurs…
– Non, le contre-emploi n’est pas une chose à laquelle je crois. Pour moi le réalisme vient du jeu. Il faut donc que les personnes qui incarnent les personnages leurs ressemblent et leurs collent à la peau. Ainsi, j’ai rapproché les rôles le plus possible de Kevin et d’Adèle et non l’inverse.
– Il y a une dimension héroïque dans vos personnages. Madeleine de par son aplomb de survivaliste, et Arnaud de par son désir profond de trouver sa place dans le monde. Vos personnages sont-ils des héros malgré eux ?
– Oui, et l’idée qu’ils le soient me plaît beaucoup. Madeleine est une super-héroïne sans super-pouvoirs. Quant à Arnaud, il a besoin d’un film pour découvrir ce potentiel héroïque. J’aime l’idée que ces personnages soient plus grands que la vie et que lorsqu’ils débarquent dans une scène, on se dise que quelque chose va se passer. Mes héros sont actifs, toujours en mouvement. En résumé, ils ne subissent pas le récit.
– Au fil du film, les deux personnages s’apprivoisent. Comment avez-vous procédé pour que le même processus se passe sur le plateau ? On sait que certains réalisateurs font se rencontrer les comédiens au moment de la première prise…
– En effet, j’ai évité que Kevin et Adèle se rencontrent avant le tournage. Ils ne se sont vus qu’une seule fois, brièvement. Ensuite j’ai travaillé avec chacun séparément. Il y avait déjà un déséquilibre d’expérience, car Adèle avait beaucoup tourné et Kevin assez peu. L’essentiel pour moi était de tourner le film dans sa chronologie et de filmer les scènes dans leur ordre d’apparition. Grâce à ça, tous les écarts se sont résorbés à mesure qu’ils travaillaient ensemble. On a effectivement bénéficié de ce qui s’est réellement passé entre eux sur le plateau.
– Il y a beaucoup d’humour dans ce film, notamment lors du stage militaire dans lequel vos personnages s’embarquent. C’est du vécu ?
– Oui et non… Pour les besoins du scénario, j’ai moi-même fait ce stage. Dans cette mesure, il y a une part de vécu, mais il y a aussi une grande part d’écriture. Cet univers m’a inspiré car il organise un énorme malentendu. D’un côté se trouve une institution un peu anachronique, et de l’autres des jeunes gens bourrés d’ambitions, de fantasmes, qui n’ont rien à voir avec ce qu’elle propose. J’y ai vu une source comique à exploiter.
– Au-delà de l’aspect comique, le film faut aussi appel au drame, au film d’action, à la romance…
– Je n’ai pas l’intention de révolutionner la comédie romantique, car c’est un genre que je connais très peu. Pour dire vrai, je n’en vois pas. J’ai donc essayé de saisir cette histoire d’amour avec les codes que je connais, comme le buddy-movie, le film d’aventure, voire de science-fiction. « Les Combattants » est un récit initiatique, où les personnages ne savent pas où ils vont mettre les pieds la scène d’après. J’ai pris conscience de la liberté que cela offrait, tout en faisant confiance aux personnages. Il s’agit d’un voyage vers l’inconnu, et pourquoi pas, d’un voyage entre différents genres cinématographiques.
– Pour une fois le couple n’est pas donné d’entrée de jeu et c’est l’homme qui se fait mener par le bout du nez…
– Je dirais que c’est un portrait parmi tant d’autres d’un couple d’aujourd’hui… Les stéréotypes ne m’intéressent pas. Si notre imagination se limite toujours au même scénario, à savoir le récit d’un garçon qui doit sauver la pauvre fille désespérée, je trouve ça triste. Je connais plein de filles et de garçons comme Madeleine et Arnaud. La vie est plus inventive, plus folle que la fiction. On a la responsabilité, si notre objectif est de représenter un monde, d’ouvrir les yeux sur lui.
– L’amour désarme ?
– Je ne crois pas. Au contraire, je pense qu’on en sort plus fort et plus armé qu’avant. L’amour donne d’autres armes, la première d’entre elle étant l’entraide, arme à laquelle Madeleine ne donne aucun crédit au début du film. Je crois surtout que l’amour est une belle façon de passer de la survie à la vie.
– « Les Combattants » : un film intemporel ou ancré dans notre temps ?
– J’espère qu’il est les deux. Par exemple, je n’ai pas voulu m’embarrasser de technologie. On ne voit pratiquement pas de portables dans le film. Je crois que c’est une illusion de croire qu’en mettant des détails de l’époque dans un film, on parle de l’air du temps. L’essentiel réside en la crise que les personnages traversent, celle liée à notre époque.
– On dit parfois que le premier film a une part autobiographique. Qu’est-ce que vous partagez avec votre duo de personnages ?
– Je suis un peu plus vieux que mes personnages, mais je partage avec eux d’être né dans une société où on nous rabâche que c’est la fin de tout : du plein-emploi, de notre écosystème, de la société de consommation… Madeleine et Arnaud essaient de faire avec les moyens du bord. Ils ré-enchantent le monde à leurs façons et inventent un monde meilleur pour eux-mêmes. Madeleine attend la fin du monde et sa rencontre soudaine avec Arnaud sous-tend un commencement. « Les Combattants » est un premier film pour pratiquement tout le monde dans l’équipe. Au même titre que les personnages des « Combattants », on a aussi eu droit à notre parcours initiatique. J’espère qu’on continuera à grandir ensemble.
Les Combattants
De Thomas Cailley
Avec Kevin Azaïs et Adèle Haenel
Filmcoopi
Sortie le 03/09