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dimanche, novembre 24, 2024
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Interview avec Jean-Stéphane Bron pour Blocher

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« L’Expérience Blocher », le documentaire du cinéaste lausannois Jean-Stéphane Bron sur le tribun de l’UDC, dernièrement sorti sur les écrans, fait malheureusement un flop dans les salles alémaniques. Outre-Sarine, moins de 6’000 spectateurs sont allés le voir pendant ses deux premières semaines à l’affiche, selon les chiffres de l’association ProCinema. Autant de spectateurs l’avaient visionné lors de son avant-première sur la Piazza Grande au Festival de Locarno cet été, noire de monde à l’occasion. La place était cernée par les forces de l’ordre, sur les dents vu que la présence du principal protagoniste du documentaire était annoncé. L’élu UDC est venu assister à l’avant-première, avec son épouse Silvia – également dans le film – et ses proches. Finalement, la projection s’est déroulée sans incident. Les militants d’extrême gauche qui avaient menacé de perturber la soirée n’ont finalement pas montré le bout de leur cagoule mais les applaudissements s’étaient déjà montrés réservés et les critiques parfois très acerbes. Empêchés d’approcher le politicien lors de cette soirée, les journalistes ont pu satisfaire leur curiosité avec Jean-Stéphane Bron. Rencontre.

– La sortie sur les écrans de votre film, L’Expérience Blocher, tombe à pic puisque l’UE est toujours un sujet d’actualité…
Pendant le tournage, j’ai eu le sentiment qu’une ère se terminait. Une sensation de crépuscule. Je ne peux pas la décrire exactement. Quoi qu’il en soit, je l’ai dit dans l’ensemble du film : on imagine que l’ère Blocher se termine.

– Votre film se veut donc une hagiographie ou une nécrologie ?
– Pas seulement. Ce n’est certainement pas un certificat de santé, aucun pronostic politique. Mais selon une analyse dramaturgique, ce film nous permet de considérer Blocher dans un contexte plus large. Son histoire, ce qu’elle représente, et de loin, au-delà du contexte suisse. Il y a des mouvements populistes de droite similaires à travers l’Europe. Cette approche dramaturgique nous permet aussi de nous libérer de cette relation enracinée dans nos tripes à Blocher.

– Ce qui est donc ancré viscéralement chez les Suisses à cause de Blocher ?
– Blocher fascine, intrigue ou agace mais il a scellé notre relation avec l’Europe. Une des scènes les plus marquantes dans le film est la séquence de l’accord sur l’EEE en 1992. Pour tous, y compris la gauche. Pour les jeunes, dont je faisais partie à l’époque, cela a été un vrai séisme. La Suisse n’a pas péri dans l’EEE. Aujourd’hui, l’UDC est en effet critiquée pour sa politique d’asile, pour sa politique étrangère, pour leurs campagnes d’affiches provocatrices…

– Si ce vote se présentait à nouveau aujourd’hui, voteriez-vous la même chose ?
– Sans hésitation ! Les années ont passé, les discours populistes sévissent en Europe mais mes convictions sont restées intactes. Lorsque nous voterons à nouveau sur l’Europe, je voterai encore une fois comme en 1992 parce que ce n’est pas une question économique pour moi ni une question de bien-être à court terme. C’est une question morale et politique, voire philosophique. Je sais que je suis très solitaire avec cette attitude, c’est la grande victoire de Blocher.

– Lui avez-vous dit que vous seriez d’accord pour adhérer à l’UE aujourd’hui ?
– Non, je ne cherchais pas à provoquer des étincelles ou des conflits faciles et inutiles en faisant ce documentaire. Je souhaitais observer le politicien et l’homme de manière anthropologique. Quant à mes convictions, je pense qu’il les connaît.

– Aviez-vous peur des propos blochériens dans le débat politique ?
– Je n’ai jamais voulu m’y intéresser mais l’engouement que ses propos et ses idées suscitent m’inquiète. Blocher aime les confrontations car elles le rendent fort. C’est ce qui l’électrise. Il a besoin d’un adversaire, sinon, il est désarmé. Dans le film, on découvre comment il fonctionne. Un politicien traditionnel tente de convaincre ses électeurs avec des arguments rationnels. Un homme politique comme Blocher inscrit ses actions politiques dans le langage même, quitte à déformer son sens, inventer de nouveaux mots, créer une nouvelle réalité, une nouvelle langue, qui est à son tour reprise par les autres partis politiques. Le cœur de sa politique est la langue. Et très honnêtement, je ne serais jamais capable de déchiffrer son langage. Dès le début, il était clair pour moi que si Monsieur Blocher ne parlait pas de lui, je ne parlais pas de lui. Mais il était également clair que mon commentaire devait être honnête.

– Vous dévoilez des facettes méconnues du politicien : par exemple, un immense sens de l’humour …
– J’ai découpé des traces de ce qui peut être vu : par exemple, comment il veut me séduire, comme je l’ai fait rire à ses blagues. J’ai quitté ma zone de confort pour évoluer au plus près possible de lui. Je voulais explorer son subconscient. En fin de compte, Blocher est dans tout notre subconscient : de Porrentruy à Sils, il n’y a personne qui n’ait pas d’opinion sur cet homme. Qu’on adhère à ses idées ou pas, Blocher est suivi par tous.

– Monsieur Blocher a-t-il eu la tentation de prendre les rênes du documentaire ?
– En tant que réalisateur, j’ai beaucoup de pouvoir : Monsieur Blocher était un objet dans mes mains. Mais il a les mêmes droits que toutes les autres personnes que j’ai filmées jusqu’à ce jour. Certaines personnes voulaient que je fasse de « L’Expérience Blocher » un règlement de comptes, un match entre lui et moi où l’un de nous allait gagner. Cela n’a jamais été mon objectif.

– Le documentariste américain Michael Moore l’aurait fait…
– Moore joue dans ses films, assume le rôle principal et emmène le public dans le travail. Il se comporte en classique héros d’Hollywood qui vise à remédier à un mal, ou du moins à le dénoncer. En fin de compte, ce n’est pas très différent pour le public que de voir Bruce Willis sauver le monde dans « Piège de cristal » (ndlr : il pensait peut-être plutôt à « Armageddon »). Je n’ai pas de problème, mais mon approche tend plus vers le théâtre brechtien : je vois le public comme un miroir. Je leur montre quelque chose qui va déclencher un processus en eux. Si après être visionné, mon film soulève plus de questions que de réponses, je suis satisfait.

– Après l’avoir côtoyé plusieurs mois, diriez-vous que Monsieur Blocher est le pendant de la révolution conservatrice en Amérique ?
– C’est évident : il se réfère à Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Il existe des éléments du Tea Party dans l’UDC. Ces deux partis partagent le même ADN. A l’instar d’autres mouvements dans d’autres pays européens, ils suscitent tous une passion chez les gens pour défendre des intérêts qui se contredisent eux-mêmes. Les gens se reconnaissent dans la défense de quelque chose qui est plus grand qu’eux. La nation, par exemple. C’est ce sentiment que le discours de Blocher nourrit. Il est une sorte de héros tragique, dans lequel on peut se reconnaître et qui nous réconforte. En période de bouleversements, de crise socio-économique, les personnes qui remportent des suffrages sont celles qui qui défendent les valeurs du passé. Cela nous procure un sentiment de sécurité qui nous réconforte. Le discours de Christoph Blocher ravive les mythes du passé qui nous empêchent de regarder vers l’avenir.

– Dans le film, Silvia Blocher est très présente. Quel rôle joue-t-elle ?
– Il s’agit d’une histoire d’amour. Il a besoin de son regard, il a besoin de la regarder. Elle est sa femme, mais aussi son surmoi. Je voulais montrer son importance dans la vie publique du politicien. Mais Christoph Blocher maîtrise parfaitement ses confidences et parle à peine de sa vie privée dans le film.

– Donc, votre portrait n’est pas tout à fait exhaustif ?

– Un documentaire ne révèle jamais complètement la vérité. Un documentaire est une opinion, une construction. Je n’ai rien caché. Personne ne croira que Blocher va au musée d’art et tire son chapeau à la peinture de la bataille de Marignan. Nous avions un accord sur la façon de travailler et nous avons répété la scène à plusieurs reprises.

– Christoph Blocher est donc un bon acteur ?
– Oui, un très bon acteur. Il est tellement habitué aux caméras et aux micros que la différence entre les moments où il est filmé à son insu et les moments où il se sait filmé est extrêmement faible.

– Un tel film ne pouvait.il être réalisé que par un cinéaste romand ?
– Pour nous, Romands, Christoph Blocher est plus éloigné que pour le monde suisse-allemand. Les blessures laissées par Blocher sont moins profondes dans l’Ouest de la Suisse. Je savais que, pendant le tournage de ce film, le projet même d’un tel film pouvait blesser certaines personnes en Suisse alémanique. Pour ces personnes, le fait de lui consacrer un film créé un scandale. Donc, je voulais faire un film dans un contexte paisible et tranquille, et non en proie à des tensions ou l’excitation habituelle qui règne autour de tels sujets.

– Vous êtes donc prêt à affronter les critiques ?
– Bien sûr. Il y a beaucoup de gens qui disent qu’ils ne pourraient jamais regarder un film sur Blocher. Je savais que j’allais rencontrer des résistances.

[Firouz-Elisabeth Pillet]

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