Mehmet, un jeune Turc fraîchement arrivé de province à Istanbul. Son quotidien est partagé entre son métier – repérer les canalisations percées sous les pavés, sa petite amie Arzu et un Kurde avec qui il se lie d’amitié, Berzan. Sa vie bascule lorsqu’il est arrêté sur un malentendu et fiché comme un terroriste. Un retour à la vie normale est désormais hors-de-question.
[dropcap size=small]P[/dropcap]rojeté au Festival International de Films de Fribourg, Journey to the Sun a été choisi par Beki Probst, présidente de l’European Film Market, chargée par les organisateurs de composer le programme de la catégorie « Diaspora ». Au synopsis annonçant une amitié entre un Turc et un Kurde, « Journey to the Sun » aurait pu s’avérer un film autrement plus politisé qu’il ne l’est en réalité. Les tensions entre ces deux ethnies sont bel et bien là, visibles notamment dans l’insistance que met chaque nouveau personnage à connaître le lieu d’origine du héros, mais le film se contente par exemple de suggérer les origines kurdes de Berzan – le terme n’est d’ailleurs jamais employé pour le désigner. En évitant de se focaliser sur cet aspect, la réalisatrice Yeşim Ustaoğlu donne une portée plus universelle bienvenue à son long-métrage. Le spectateur ne manquera pas ainsi de reconnaître ses premières amours dans celui que vivent Mehmet et Arzu, ses propres amitiés dans celle, virile, qu’il tisse avec Berzan. Du reste, c’est surtout par la force de l’injustice flagrante que Mehmet subit qu’on se liera d’affection pour lui.
Sa garde à vue n’éveille en Mehmet ni haine, ni esprit de rébellion, comme aurait pu le suggérer la scène magistrale où, à sa sortie de prison, il retourne lentement à son taudis en traversant une chaudière – flammes, fracas de métal et jeux de lumière hallucinés accompagnent sa lente progression vers une misérable chambre qu’il partage avec trois autres jeunes. Évitant de basculer avec facilité dans le brûlot révolutionnaire, Yeşim Ustaoğlu préfère montrer comment Mehmet encaisse avec une sagesse quasiment religieuse chacune des conséquences néfastes de sa mésaventure : il perd tour-à-tour sa piaule, son boulot, et sa petite amie, frappée d’une interdiction de fréquenter ce « criminel » par ses parents (interdiction qu’elle bravera courageusement à l’occasion). Plutôt que de dénoncer frontalement le pouvoir, les bavures policières ou le rejet de l’autre – ce que « Journey to the Sun » fait effectivement, mais en filigrane – le film préfère à bon escient valoriser une soif de vie, d’amour et d’amitié en l’incarnant dans son héros infatigable.
Le film est séparé en deux parties : la première se concentre à Istanbul et est occupée par l’essentiel de l’intrigue, la seconde, quasiment muette, constitue un road-trip jusqu’à un village de l’est de la Turquie. Plus esthétique, révélant la variété géographique de ce vaste pays, méconnu au-delà d’Istanbul, la seconde séduira probablement davantage ceux que les aspects formels touchent particulièrement. À ne pas croire pour autant que la première partie, plus bavarde, est dépourvue de toute valeur esthétique ; on prendra à témoin cette scène hallucinante où Mehmet, s’improvisant employé d’une déchetterie, évolue entre des montagnes d’ordures où paissent insolitement des vaches et des mouettes. D’ailleurs « Journey to the Sun » est également, pour le spectateur suisse, une belle introduction aux coulisses d’une Turquie qui ne se limite manifestement pas à la basilique Sainte-Sophie. On sera frappé par la pauvreté et la soif de vie qui l’habitent.
Journey to the Sun (Günese Yolculuk)
Turquie – 1999 – Drame
Réalisateur: Yesim Ustaoglu
Acteur: Nazmi Kirik, Newroz Baz, Mizgin Kapazan
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