Dans la lignée des films d’animation, Ali Soozandeh propose une représentation poignante de la société Iranienne à travers son film Téhéran tabou. Suite à une interview, nous vous proposons de décrypter les dessous de cette animation.
Dans le cadre du Geneva International Film Festival (GIFF), nous avons eu l’opportunité de rencontrer le réalisateur Ali Soozandeh après la première Suisse de son film d’animation, Téhéran tabou. Ce film utilise la rotoscopie, soit un procédé cinématographique permettant de retracer le contour, ici, des acteurs afin de les transformer en dessin et de les intégrer au film d’animation. Sans se revendiquer politique, ce film expose au public, la dualité de la société Iranienne entre censure religieuse et comportements allant à l’encontre des mœurs. Ce film dur destiné aux adultes retrace la manière dont les Iraniens font face à cette société à double standard.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez décidé de quitter l’Iran et d’aller en Allemagne ?
À cause des perspectives. Lorsque j’étais adolescent, ce n’était pas vraiment sérieux, c’était divertissant de vivre en Iran et de voire ces restrictions. Mais quand nous grandissons, nous avons besoin de perspectives de vie, d’un travail, nous avons un but. Si nous ne pouvons pas parvenir à notre objectif, une des possibilités est de quitter le pays. J’ai pu, par exemple, étudier en Allemagne. Je voulais faire des films et m’exprimer. Je voulais exprimer mon opinion de manière libre. Ce n’était pas possible en Iran par exemple. J’ai trouvé des voies pour mes perspectives à l’étranger.
Quand vous avez réalisé ce film, vous souhaitiez exposer ce tabou au reste du monde ou au peuple iranien ?
Cette histoire prend place à Téhéran, mais elle aurait pu prendre place dans plein d’autres pays. Vous pouvez trouver la même structure qu’en Iran au sein de plein de sociétés. Par exemple, les pays d’Afrique du Nord, les pays du Moyen-Orient ou les pays arabes. Même, vous pouvez trouver des sociétés parallèles en Europe avec la même structure et le même tabou que celui articulé dans l’histoire. Ce n’est pas vraiment uniquement à propos du tabou iranien, mais cela concerne des sociétés avec la même structure et le même rôle. Par exemple, le problème avec la restriction sexuelle et ses limitations au sein de la société peut se percevoir dans plein d’autres pays. Cette sorte de restriction et le résultat de celle-ci sont un double standard. Nous pouvons retrouver partout ce double standard même en Europe et dans le reste du monde.
Est-ce que le but de ce film est-il d’engendrer une réaction ?
C’est une histoire fictive. C’est sur l’état de la société iranienne. C’est une histoire fictive qui se déroule à Téhéran, une partie de Téhéran. À Téhéran, nous pouvons trouver des environnements vraiment très différents : des quartiers riches, des quartiers très modernes, des quartiers très pauvres et des quartiers traditionnels. L’histoire se déroule dans une partie de la société ou nous pouvons trouver des problèmes tels que ceux que nous pouvons constater dans le film. Par exemple, dans le nord de Téhéran, les femmes n’ont pas besoin d’être vierges avant d’être mariée. Personne ne le demande. Mais dans les quartiers pauvres, c’est un problème et c’est un tabou.
Hier soir, vous avez affirmé que ce film est social et pas politique. Pouvez-vous expliquer cette différence ?
Une partie du problème en Iran par exemple, provient de la loi, de la politique, une autre partie provient de la religion. Mais la grande partie du problème est issue des mentalités et de l’éducation. L’histoire pourrait par exemple, se dérouler après la révolution. Il n’y avait pas de police morale avant la révolution. Mais nous pouvons voir les premiers signes dans le film avec le chauffeur qui se retrouve avec la prostituée et ce dernier aperçoit sa fille. Il prend le rôle de police morale concernant sa fille.
Ce n’est pas à propos de la politique ou de la religion. C’est dans la culture, dans la mentalité. Cela n’a rien à voir avec la politique ou la religion. Je pense que cela pourrait se produire juste après la révolution, ou après la révolution au sein d’autres pays.
Vous-êtes vous inspiré de votre expérience personnelle et de celle des femmes de votre entourage ?
Oui, j’ai vécu là-bas durant 25 ans. J’ai entendu et j’ai vu plein de choses. Quand on commence à écrire un script, notre expérience transparaît à travers l’histoire qu’on le veuille ou non. Certaines de ces histoires proviennent de ma propre expérience et d’autres des récits que j’ai entendu. J’ai eu beaucoup d’interviews de plusieurs Iraniens qui venaient d’Iran. Également, j’ai lu des blogs d’Iraniens. Nous pouvons y trouver plein des clips vidéo pris sur les téléphones portables ou sur Youtube. C’est une combinaison de toutes ces choses : Ma propre expérience et l’expérience des autres.
Vous êtes-vous inspiré de Persépolis ?
J’ai lu le livre de Marjane Satrapi. Je l’ai beaucoup aimé. Et le film était très bien. C’était l’histoire d’une enfant. Mais c’est destiné aux adultes. J’ai été inspiré par Persépolis et Valse avec Bachir par exemple. J’ai vraiment beaucoup apprécié ces films ainsi que plein d’autres films évidemment.
Au sein de votre film, les personnages ne sont pas entièrement gentils ou foncièrement mauvais. Mais il semble qu’au final, seul les hommes agissent de manière néfastes et font les mauvais choix. Et seule la prostitué aide les autres personnages.
Personne n’est totalement méchant ou gentil. Par exemple, l’homme qui tue le chat. À ce moment, il tue ce chat et il fait du chantage à d’autres personnes. Il est offensant, c’est un homme mauvais. Cependant, lorsque nous prenons connaissance de son histoire passée, nous apprenons que sa fille est enceinte avant qu’elle soit mariée. Elle est enceinte et il n’a pas d’argent pour payer l’opération nécessaire à l’avortement (une opération illégale). Dès lors, nous comprenons que cet homme subit une forte pression part la société. Il est un oublié du système et il essaye de décompresser à travers le chat et son voisinage. Il est selon moi, une victime dans la société. Il n’est pas entièrement un homme mauvais ni pleinement une bonne personne. Cela dépend de notre perspective, de notre point de vue. La même personne peut être vue comme bonne ou mauvaise, une victime ou un agresseur.
Votre film, comporte beaucoup de métaphores. Pouvez-vous m’expliquer l’image du petit garçon ?
Le garçon muet est notre caméra, car nous voyons l’historie à travers ses yeux, à travers son point de vue. Parce qu’il est muet, les autres personnages peuvent lui faire confiance et lui dire leurs secrets. C’est connaître les autres personnages, leurs secrets et leurs comportements à travers un autre regard, celui du petit garçon muet. C’est un observateur très silencieux, il observe la société comme une caméra.
Pouvez-vous expliquer la métaphore du chat noir et du chaton blanc ?
Je pense que la couleur des chats est triviale. Le chat est pour moi, le symbole d’une créature simple et normale comme tout le monde qui souhaite avoir une vie normale. Les besoins les plus basiques : les choses dont nous avons besoin pour vivre pour avoir une vie normale. Par exemple, quelque chose à manger, un endroit où vivre. Et comme vous pouvez le voir, ce n’est pas totalement possible pour le chat de trouver de la nourriture. Or, le chaton trouve un endroit où vivre juste pour avoir une vie normale.
Chaque personne indépendamment de qui elles sont, sont identiques. Les gens sont similaires que cela soit en Europe ou en Iran. Ils ont tous les mêmes rêves, les mêmes besoins. Ils veulent seulement avoir une vie normale. Seules les circonstances sont différentes. Mais les gens sont vraiment identiques. Le chat est le symbole d’une personne qui souhaite juste avoir une vie normale.
Par conséquent, selon vous, c’est le contexte qui influence le comportement des gens soit le mauvais comportement des individus ?
Le système est important. Cela dépend dans quel système vous vivez. Suivant celui-ci, vous avez peut-être besoin de faire différentes choses. Par exemple, lorsque j’étais en Iran, c’était normal pour moi d’avoir ce double standard, plusieurs masques, car c’était normal dans le système. Je suis né dans ce système et j’ai grandi dans ce système. Je ne pouvais pas me distancer de ces problématiques. Lorsque j’étais à l’étranger, j’ai pu me distancer de cette société. J’ai pu comprendre que cela n’était pas normal d’avoir plusieurs visages au sein d’une même société. C’est difficile pour les gens qui vivent dans ce système de trouver ce qui ne va pas et ce qui est normal. Par exemple, lorsque j’étais en Iran, j’avais besoin d’avoir une tierce personne qui me dise que ce n’est pas normal.
La rotoscopie est selon vous, le meilleur moyen de représenter une réalité qui ne peut être montrée. De manière générale, pensez-vous que l’on peut exposer d’avantage la vérité dans les films d’animation ?
Cela dépend vraiment de l’histoire. Par exemple, si nous n’avons aucune séquence, si c’est impossible de filmer, c’est mieux de faire un film d’animation. Mais parfois, c’est possible de filmer. À titre d’exemple, l’histoire se déroulant à Berlin, peut-être que l’animation n’est pas la meilleure idée.
C’est très difficile de financer un film d’animation et de trouver les finances du projet. C’est vraiment plus difficile de distribuer ce film pour une audience adulte. Aussi, cela prend énormément de temps, vous savez. Pour la même durée, nous pouvons faire deux films « classiques ». Donc, je pense que nous avons vraiment besoin d’une base solide pour faire une animation pour adulte. Il faut une raison solide. Pour Téhéran Tabou, nous avions cette raison. Nous ne pouvions pas filmer et l’histoire est un petit peu dure. Donc, avec l’animation, nous pouvions mieux représenter le projet.
L’animation peut être meilleure, car les images des films d’animation ne sont pas comme la vie concrète comme les films représentant la réalité. Ils laissent un petit peu de marge de manœuvre dans l’esprit des spectateurs pour leur propre imagination. Ce type de cinéma est très fort pour l’esprit intérieur. Et nous pouvons utiliser cette imagination pour créer une petite distance par rapport à l’histoire. Nous pouvons l’utiliser dans Téhéran Tabou.
Pour le prochain projet par exemple, je ne suis pas sûre que le film d’animation soit la meilleure manière pour traiter des personnages à Berlin par exemple. Bien sûr que nous pouvons filmer à Berlin. Alors, je vais réfléchir si c’est mieux de faire un film d’animation. Cela dépend vraiment de l’histoire.
Vous avez parlé de l’Allemagne. Vous avez un projet pour un autre film en Allemagne ? Est-ce qu’il va traiter de ce parallèle ou d’un autre sujet ?
Une partie de l’histoire traite de cette société parallèle en Allemagne. Par exemple, les réfugiés : il y a beaucoup de sociétés parallèles, de personnes qui sont oubliées par le système. Je pense que cela fait 5-6 mois, ils ont diffusé un film documentaire à la télévision traitant des enfants réfugiés qui ont disparus. Personne n’en a parlé. Ils étaient seuls en Europe et ils ont disparu. Personne ne sait où ils se trouvent. Par exemple, c’est une part spéciale de la société qui existe, mais que l’on ne veut pas croire. Je pense qu’une partie l’histoire devrait traiter de cette partie de la société.
Téhéran tabou
AUT – 2017 – 90 Min. – Animation
Réalisateur: Ali Soozandeh
Acteur: Elmira Rafizadeh, Zahra Amir Ebrahimi, Alireza Bayram, Siir Eloglu, Jasmina Ali
Praesens Film
15.11.2017 au cinéma