Evoluant d’habitude dans un cinéma aux antipodes de celui pratiqué par les grands studios, Chloé Zhao introduit de nouveaux personnages et lance un nouvel arc narratif au sein du Marvel Cinematic Universe.
Comme la manœuvre avait (financièrement) brillamment fonctionné pour le « Black Panther » de Ryan Coogler, le grand manitou du « MCU » Kevin Feige est à nouveau aller faire son marché du côté du cinéma indépendant pour trouver le réalisateur qui s’emparerait des « Eternals ». A l’annonce du nom de l’heureuse élue, la surprise avait été de taille car Chloé Zhao n’avait jusque-là réalisé que deux films (« Songs my brothers taught me » et « The Rider ») qui ne laissaient aucunement présager d’un intérêt de sa part pour les grosses productions hollywoodiennes. Oscarisée depuis pour « Nomadland », elle peut aujourd’hui se targuer d’avoir peut-être réussi l’un des films les plus intéressants de l’univers Marvel. La tâche n’était à priori pas aisée puisqu’il lui incombait de présenter au public de tout nouveaux personnages, les « Eternels » et de posé les bases d’un univers, certes connecté, mais parallèle à celui, bien connu, des « Avengers ».
Crées en 1976 par Jack Kirby, « Les Eternels » (« Eternals » en v.o.) sont, dans les comics, des êtres immortels dotés de super-pouvoirs qui appartiennent à une autre branche de l’humanité que celle de l’homo-sapiens. Ils ont été créés par de entités cosmiques appelées les « Célestes » pour parcourir l’univers et anéantir les « Déviants », une version d’eux-mêmes ayant dégénéré… Voilà pour les grandes lignes. Dans le film, Chloé Zhao et ses co-scénaristes se sont intéressés à un petit groupe d’entre eux ayant accompli leur mission sur Terre voilà déjà plusieurs siècles et qui attendent aujourd’hui, en menant des vies conformes à leurs inclinaisons ou idéaux, que le Céleste qui les a créés les rappelle à la maison, quelque part dans l’univers. Comme ils n’ont pas le droit d’intervenir dans les affaires des Hommes, ils ont assisté impassibles aux différents massacres de l’Histoire tout en s’attachant malgré tout à eux. Heureusement car sinon, en recevant leur nouvel ordre de marche, ils seraient simplement repartis sur une planète avec des plans d’eau pour picoler des margaritas sur la plage en bronzant sous différents soleils. Ça aurait été con et le film particulièrement chiant. (Vous l’aurez compris. Il ne faut pas en dire plus.)
Le premier intérêt du long-métrage de Chloé Zhao est au niveau de ses personnages. Ils sont ici différents de ceux que l’on a pu voir dans l’univers Marvel jusque-là car plus complexes et plutôt définis par leurs failles que par leurs super-pouvoirs. De plus, comme les scénaristes n’ont pas le luxe d’avoir un film entier pour expliquer les origines de chacun ils ont dû trouver une astuce pour les caractériser chacun. Si bien que, alors que l’arc narratif principal est très basique (ils sont disséminés aux quatre coins du monde et le film va les rassembler pour affronter la menace qui plane sur eux), les auteurs utilisent intelligemment les flash-backs pour faire un peu mentir ce qu’ils avaient fait croire aux spectateurs dans les premières minutes. Ainsi, les enjeux varient inlassablement, les dessins et motivations de chacun sont sans cesse bouleversés et l’ennui n’a pas le temps de s’installer. Surtout que souvent, les flash-backs sont agrémentés d’une petite scène d’action qui vient contrebalancer les moments plus calmes. Il conviendrait même d’écrire « briser » car il est évident que Cholé Zhao aime les ruptures. De rythme donc mais aussi de ton et cela souvent au sein d’une même scène où elle ne se gêne pas de passer de l’humour potache au tragique de manière parfois audacieuse. C’est d’ailleurs dans ses tentatives comiques que la réalisatrice commet ses principales bévues. Certains gags, bien que sophistiqués, passent crème mais d’autres ne fonctionnent pas du tout. Principalement autour d’un personnage qui est totalement dans la parodie lourdingue et détonne au milieu des autres.
Pour ce qui est du spectacle, les fans en auront pour leur argent. Les images, qu’elles soient brutes ou trafiquées en CGI, sont splendides et les effets spéciaux toujours utilisés à bon escient. Entre les plans filmés en réel et ceux fabriqués en numériques, la différence n’est pas toujours palpable et le résultat est souvent somptueux, gorgé d’images inédites qui marquent la rétine. On reconnaît d’ailleurs, au détour de certains plans larges ou d’autres plus serrés, le talent de Chloé Zhao et de son chef opérateur () pour cadrer les grands espaces et les visages.
Rien à redire non plus du côté du casting. Vedettes du petit écran, stars vieillissantes ou visages peu connus, tous ont été judicieusement choisis. Et notamment Barry Keoghan. Un jeune acteur un peu à part qu’on a récemment pu voir dans « The Killing of a Secret Deer » et « The Green Knight » et qui a assurément déjà l’étoffe d’un grand.
Sans aucun doute et même s’il n’est pas une révolution dans le genre, « Eternals » n’est pas un film de super-héros comme les autres et il faut espérer que le public saura se laisser un tant soit peu bousculer par les nouvelles règles qu’il tente de mettre en place. Moins divertissant que ses prédécesseurs, il est surtout un peu plus profond, bizarrement plus humain et si l’on s’abandonne, l’expérience est très plaisante.
The Eternals
USA – 2020 – Action, Aventure, Science-fiction
Réalisatrice: Chloé Zhao
Casting: Richard Madden, Angelina Jolie, Salma Hayek, Kumail Nanjiani, Lia McHugh, Brian Tyree Henry, Dong-seok Ma, Lauren Ridloff
Disney
03.11.2021 au cinéma