Après sa trilogie sur les skinheads et son « Dirty Paradise », le documentariste genevois Daniel Schweizer s’attaque cette fois-ci à l’industrie de l’or sale. Des sols sacrés de la tribu Yanomami aux devantures du BaselWorld, l’or est un des derniers produits dont la traçabilité demeure encore floue ; pas par manque de procédure, mais par manque de volonté de la part des entreprises minières de faire la lumière sur les conditions inhumaines de l’extraction de ce métal précieux. Schweizer révèle, lui, sans fard cette traçabilité et nous emmène au Belo Monte (Brésil) et au Pérou, où cette nouvelle ruée vers l’or détruit l’homme et son environnement. D’une carrière monumentale, creusée en plein territoire indigène par un des leaders de l’extraction mondiale, aux pompes des chercheurs indépendants (garimpeiros), qui détruisent les rives de la magnifique Madre de Dios (Pérou), le résultat est toujours le même : l’appât du gain avant l’humain.
Ce qui inquiète encore plus, outre l’exploitation et le pillage (qui n’ai en définitive que l’apanage d’un capitalisme sauvage bien connu), c’est le laisser-aller et la non-réactivité des gouvernements sud-américains, dont les représentants nous livrent des « plusieurs nouvelles lois sont en cours de mise en place » ou des « le cas de ce village a été étudié et une réflexion est en cours pour trouver une solution adéquate ». Tout semble « en cours » donc, mais rien n’est vraiment fait. Bizarrement, sur le terrain, les policiers nationaux sont, eux, embauchés durant leurs vacances par les compagnies minières, pour faire agent de sécurité, en conservant bien-sûr leur uniforme de policier… La problématique de la corruption n’est ici jamais abordée de front, mais son existence n’est jamais réfutée non plus.
Puis, en parallèle, nous faisons des allers et retours en Europe, où cet or sale finit tôt ou tard par arriver. Là aussi, le non-sens et les non-dits règnent. Pendant que les « riches » de ce monde se rendent au célèbre BaselWorld, le gouvernement suisse refuse tout engagement dans cette guerre de l’or sale, à laquelle il participe pourtant indirectement, en proclamant fièrement sa liberté de convertibilité. La Suisse est, en effet, le premier pays à blanchir illégalement de l’or sale. Même preuve à l’appui et procédure judiciaire en route, rien n’y fait, le gouvernement suisse se cache derrière sa neutralité et son secret bancaire si pratiques.
Malgré la révolte et le sentiment d’injustice que provoque « Dirty Gold War », Daniel Schweizer a l’intelligence de ne pas s’emballer. Il nous présente de la manière la plus factuelle possible les résultats de son enquête et c’est grâce à cette infaillibilité réaliste que « Dirty Gold War » gagne toute son efficacité. On est donc loin du sensationnalisme de certains autres documentaires, notamment américains, qui auraient vite fait de superposer les épouses de milliardaires bardées de bijoux dorés aux enfants Yanomami impuissants devant la destruction de leur terre et de leur patrimoine.
Cette sincérité crée ainsi tout l’effet du film et tout son propos. Même si le sujet n’est que peu équivoque, le libre-arbitre est laissé au spectateur de comprendre ce qu’il y a à comprendre et de réagir avec ses propres émotions, sans être influencé ou guidé par de quelconques effets de montage ou de narration fictionnelle apposées au documentaire (comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui dans ce genre de film).
D’un autre côté, le traitement de Schweizer est si concis qu’une fois la fin du film venue, la frustration s’installe. Seulement 68 minutes et plusieurs portes ouvertes, sans qu’elles aient pour autant été refermées. Les questions nous hantent, les réponses nous manquent. Pour un sujet si sensible et si inédit, qui implique tant de problématiques, « Dirty Gold War » nous semble un peu court et fait plus office d’introduction et de sensibilisation au problème de l’or sale, que d’étude complète. En même temps, cette guerre est encore tellement actuelle, qu’il aurait été difficile d’en tirer des conclusions. Encore beaucoup de choses restent encore à faire et Schweizer sait justement soulever les bonnes questions, tout en laissant le spectateur réfléchir par lui-même.
« Dirty Gold War » se termine sur l’or vert, l’or équitable. Malheureusement, tout comme les moteurs de voiture écologique, on sent bien que tout ça n’est fait que dans un énième but marketing et est très loin de révolutionner ou de trouver un début de solution concrète à cette guerre de l’or sale. Encore une fois, beaucoup de choses restent à faire. Daniel Schweizer n’a fait que poser le doigt sur la carte des problèmes. C’est son devoir en tant que documentariste et il l’a très bien rempli avec « Dirty Gold War ».
Dirty Gold Ward
Réalisé par Daniel Schweizer
Raconté par Peter Coyote
Willy Lugeon
Disponible en DVD depuis le 20.01.2016