JJ Abrams saisit l’essence de la saga tout en la renouvelant, passant avec succès le flambeau du mythe à la génération actuelle.
L’héritage de la Force
« J’ignore combien de fois j’ai fait référence aux archétypes de « Star Wars » quand je développais des histoires. Car il s’agit d’un langage tout à fait habituel pour nous parce que nous connaissons très bien l’univers de Star Wars. Il m’a toujours été difficile de composer une histoire pour l’épisode d’une série, qu’il s’agisse de « Lost », « Alias » ou même « Felicity », et de ne pas sentir qu’il était possible d’évoquer le triangle amoureux de l’Episode IV ou la lutte entre le Bien et le Mal à laquelle on assiste au cours des six films » (Lucasfilm magazine no 62, novembre-décembre 2006). A travers cette citation, le réalisateur JJ Abrams démontre que « Star Wars » fait partie intégrante de son inconscient, jusqu’à ne plus pouvoir dissocier les mythes créés par George Lucas de son processus de création. Il semblait donc tout désigné pour prendre le relais, après que Disney, rachetant Lucasfilm il y a de cela trois ans, ait décidé de relancer la franchise pour une troisième trilogie.
Après avoir rendu hommage à Amblin et Steven Spielberg via son film « Super 8 », Abrams refuse dans un premier temps la proposition de Kathleen Kennedy (présidente de Lucasfilm chez Disney et garante du respect accordé à l’héritage de George Lucas) de reprendre les rênes de la saga, effrayé par l’ampleur démesurée d’une telle démarche. Mais lorsqu’elle confie au réalisateur que Lawrence Kasdan (scénariste sur la trilogie originale) est impliqué dans l’écriture, signifiant clairement un retour aux sources de la saga, Abrams n’hésite plus et accepte le rôle de réalisateur de l’Episode VII, ce qui sera officialisé le 25 janvier 2013. George Lucas, qui n’occupe plus que le poste de consultant créatif, est également ravi de ce choix. Mais les fans s’inquiètent : comment un réalisateur peut-il s’occuper à la fois de « Star Trek » et de « Star Wars » ? (Abrams ayant relancé la franchise romulienne en 2009).
Au fil des mois, le réalisateur va petit-à-petit gagner sa place dans le cœur du fandom – abréviation de fan et de kingdom ; terme fourre-tout qualifiant les fans de l’œuvre et tout ce qu’ils organisent et créent à partir de cette œuvre – de « Star Wars », communiquant peu mais bien en montrant des parties de plateaux de tournage où tout semble solide, y compris une reproduction en 1 :1 du Faucon Millenium. On s’éloigne donc des boursouflures numérisées de Lucas pour la prélogie, Abrams montre sa volonté de respecter le ton plus grave et les décors en dur des épisodes IV, V et VI. A l’époque de l’Internet et des réseaux sociaux, toutes les équipes impliquées dans le film vont livrer une conviviale bataille pour qu’aucun détail ne filtre comme le démontre JJ Abrams : « Mon dieu. Mon bureau… Je travaille sur le scénario de « Star Wars » aujourd’hui et les gens de mon bureau ont recouvert toutes les fenêtres avec du papier noir. Je suppose qu’ils voulaient être sûrs que personne ne pouvait voir ce que je faisais. » (The Telegraph, 25 janvier 2014). Une véritable paranoïa collective s’empare des gens, mais cela nourrira les espoirs et fantasmes des fans au cours de ces deux années de gestation. Deux années qui entretiennent le mythe autour du film, le studio révélant au compte-gouttes l’identité du nouveau casting, le retour des anciens, que ce soit devant ou derrière la caméra. Les fans en profiteront pour élaborer les théories les plus farfelues. Au final, Lucasfilm aura réussi à entretenir le mystère jusqu’à la sortie officielle ce 16 décembre 2015. La magie reste intacte.
Pop culture et imaginaire collectif
On aura tout lu et tout entendu sur les références utilisées par George Lucas pour créer « Star Wars ». Il puise à tout va pour créer la Genèse de son aventure spatiale, analyse et décortique la légende arthurienne et les prouesses des chevaliers de la Table Ronde, les traditions médiévales, antiques et bibliques. Il étudie également la mythologique grecque et les aventures de Thésée, d’Ulysse ou d’Œdipe. Mais il le dit lui-même, sa principale inspiration vient d’un philosophe et anthropologue qui deviendra son ami au fil du temps, Joseph Campbell, et surtout du livre « Les Héros sont éternels » paru en 1949. Dans cet ouvrage, l’écrivain recense les thèmes et les symboles récurrents dans les contes de fées ou les textes sacrés et avance la théorie d’un « monomythe » universel. Lucas aura essayé de reproduire certaines de ces récurrences dans ses trilogies. Selon Campbell, le héros s’aventure hors de son quotidien et pénètre dans un lieu de merveilles, y affronte des forces fabuleuses et remporte une victoire décisive. Il rentre de ce voyage muni du pouvoir de dispenser des bienfaits à l’homme et à son prochain. Difficile de ne pas y voir des résonnances évidentes dans « Star Wars », mais également dans d’autres films comme « Mad Max : Fury Road », « Avatar » ou encore « John Carter ». George Lucas s’empare de toutes ces références, de nos connaissances enfouies des civilisations et des mythes de l’humanité et les projette dans un autre temps, loin dans l’espace, pour dissocier ces mythes du monde réel.
JJ Abrams, en prenant la succession de Lucas (et de Irvine Kerschner et Richard Marquand pour les Episodes V et VI), prend également la responsabilité de relayer ces mythes ancestraux qui font partie de notre imaginaire collectif. Comme le dit Joseph Campbell lui-même : « L’artiste est celui qui est capable de retranscrire les mythes de son époque ». Le réalisateur se place donc comme un intermédiaire entre ces mythes fondateurs et cette nouvelle génération de spectateurs. Car depuis les années 70, « Star Wars » est une affaire de générations. Que ce soit pour les post soixante-huitards aux idéologies pacifistes ou la génération de la naissance d’Internet, « Star Wars » fait écho à quelque chose de fondamental qui constitue l’être humain depuis toujours : la coexistence entre le Bien et le Mal. En chacun de nous et autour de nous, nous sommes sensibilisés au quotidien à ces notions. La grande force de « Star Wars », à l’inverse de beaucoup d’idées reçues, est de réussir à retranscrire sans manichéisme ce combat, cette cohabitation perpétuelle (à ce titre, le personnage de Kylo Ren est passionnant).
Une affaire de famille
Venons-en donc au cœur du sujet, que vaut donc cet Episode VII de Star Wars ? Comment JJ Abrams a-t-il géré pareil héritage ? Il s’en sort brillamment, tout simplement.
Rey, jeune pilleuse d’épaves de vaisseaux sur la planète Jakku se retrouve confrontée à un petit robot du nom de BB-8. Celui-ci semble avoir perdu son maître et Rey décide donc de partir à sa recherche, aidée par Finn, un stormtrooper dissident. Ensemble, ils vont être confrontés au terrible Premier Ordre gouverné par Snoke et son disciple Kylo Ren.
On le voit donc bien ici, les symboles récurrents recensés par Joseph Campbell sont à nouveau présents. L’appel de l’aventure (symbolisé par BB-8), la jeune aventurière en devenir, etc. Difficile d’en dire plus sans dévoiler les rebondissements du film (ce que nous a formellement interdit la production en nous faisant signer un engagement écrit), mais il est intéressant de noter qu’il s’agit encore ici d’une affaire de famille. Que ce soit Anakin Skywalker dans la prélogie, Luke et Leia dans la trilogie ou les personnages de cet épisode VII, tout est relatif à la famille Skywalker. Un transfert de gènes, un transfert générationnel dans la fiction comme dans la réalité, que ce soit de nos parents qui auront connu « Star Wars » dans les années 70 (et dans les années 2000 pour les plus jeunes) à nous et aux plus jeunes aujourd’hui. Encore une fois, « Star Wars » se place comme témoin de notre temps et cet Episode VII ne déroge pas à la règle, dans les thèmes abordés ou le ton général du film, assurément sombre.
Même si la structure globale du récit se calque un peu sur celle de l’Episode IV, Abrams et ses scénaristes ont l’intelligence d’en détourner les principaux axes et de ne jamais sombrer dans le vulgaire fan service (principal défaut d’un « Jurassic World » par exemple). Ils prennent même quelques risques, cherchant à reproduire un trauma émotionnel aussi dense que dans les précédentes trilogies. Le fait de proposer le rôle principal à une femme change toute la dynamique du long-métrage. Rey est assurément la grande force du film et Daisy Ridley est extraordinaire, faisant varier son jeu avec délicatesse tout au long de l’histoire. Sur ce point-là, Abrams prouve qu’il est un excellent directeur d’acteurs, à l’inverse de George Lucas qui avouait lui-même détester ça. Chaque comédien est d’une justesse totale. On pourra regretter que le film aille parfois un peu vite et on est très loin de la lenteur hypnotisante de l’Episode IV, ce qui entraîne quelques légers raccourcis scénaristiques et surtout des personnages sacrifiés par la densité émotionnelle et thématique de l’ensemble. Mais n’oublions pas que JJ Abrams dessine ici les contours d’une trilogie en devenir, et que ces personnages auront probablement tout le loisir de gagner en consistance par la suite.
Impossible de ne pas mentionner le seul acteur récurrent de toutes les trilogies « Star Wars », à savoir le compositeur John Williams. Contre toute attente, les musiques semblent moins inoubliables que celles des six autres films. A 83 ans, il fait malgré tout preuve d’une vitalité hors du commun, livrant quelques thèmes efficaces et d’autres plus paresseux, parfois sacrifiés par un étalonnage sonore favorisant les basses, les bruits sourds et les sons particuliers. A ce titre, le son produit par les sabres laser donne des frissons et la « voix » de BB-8 est absolument parfaite. Pourtant, certaines mélodies se démarquent, particulièrement lors d’un dernier plan extrêmement iconique, peut-être le plus beau des sept films. Il est vivement conseillé de rester jusqu’à la fin du générique pour apprécier les précieuses notes du maître qui reste malgré tout encore et toujours un des plus grands compositeurs de notre temps.
« J’ai voulu faire de La Guerre des étoiles un conte de fées moderne, un mythe, parce que toute la jeune génération actuelle en est privée. Les jeunes aujourd’hui ne disposent d’aucun imaginaire. Les seuls héros qu’on leur propose sont l’inspecteur Harry ou Kojak. Tous les films qu’ils voient mettent l’accent sur des catastrophes, sur l’angoisse et la violence. Depuis que le western s’est éteint, ils n’ont à leur disposition aucun espace mythologique. Si j’ai fait « La Guerre des étoiles », c’est pour leur offrir un champ exotique où leur imagination puisse se déployer. » (Dossier de presse du film La Guerre des étoiles, 1977). Aujourd’hui comme hier, et même s’il se référait à la jeunesse américaine de l’époque, cette citation de George Lucas est tout à fait d’actualité. A une époque où la surinformation donne accès à tout à tout le monde et à tout moment, l’Episode VII fait figure de bouffée d’air frais et JJ Abrams entretient avec justesse cet univers de tous les possibles.
Aucune franchise n’a autant d’importance culturelle que « Star Wars ». Ces prochaines années vont voir arriver une pléthore de films (les Episodes VIII et IX ainsi que trois spin-off), ainsi qu’un merchandising acharné qui provoquera à coup sûr l’écœurement pour certains. Mais gardons en tête que cet Episode VII reste un beau moment de cinéma, et surtout un magnifique chapitre de cette galaxie lointaine qu’est « Star Wars ». Au final, JJ Abrams a bien compris que la réussite de la franchise fonctionnait sur la répétition des archétypes mythologiques d’une génération à l’autre. En cela, l’aide au scénario de Lawrence Kasdan, dépositaire de l’héritage référentiel de George Lucas, a été prépondérante. Nul doute qu’avec de pareils artistes aux commandes, la saga « Star Wars » pourra encore longtemps refléter les mythes de son époque… et ravir le public !
Star Wars Episode VII : Le Réveil de la Force
De JJ Abrams
Avec Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac, Adam Driver, Harrison Ford, Carrie Fisher, Mark Hamill, Lupita Nyong’o
Walt Disney Pictures
Sortie le 16/12
Joli article! très complet