La réalisatrice de « Les Héritiers » revient avec un film coup de poing, présenté hier sur la Piazza Grande. « Le Ciel Attendra » retrace le destin de deux adolescentes embrigadées, prêtes à tout quitter pour partir faire le djihad. Un sujet sensible traité avec humanité et délicatesse.
Sonia (Noémie Merlant), 17 ans, est une jeune fille comme les autres. Un beau matin, elle se fait interpeller par la police au domicile de ses parents, dans une incompréhension totale. L’adolescente est accusée d’avoir eu des liaisons avec un réseau djihadiste qui s’apprêtait à commettre un attentat sur le sol français. Comme bon nombre de filles de son âge, Sonia s’est faite embrigadée. Prise dans un tourbillon infernal, convaincue de la fin du monde prochaine, elle veut avant tout garantir une place au paradis à sa famille.
Mélanie (Naomi Amarger), 16 ans, a tout d’une vie sereine et équilibrée. Elle vit avec sa mère, a plein d’amis, et se passionne pour le violoncelle. Pourtant, son monde bascule quant elle accepte «Epris de Liberté» sur Facebook. Un compte étrange dont la photo de profil n’est qu’une tête de Lion. Derrière, se cache Mehdi, un jeune homme dont la jeune rouquine s’éprend. Par les réseaux sociaux, il lui transmet des vidéos conspirationnistes reflétant les maux de la société occidentale capitaliste. Mélanie se sent à présent manipulée par le monde dans lequel elle vit et compte bien le changer en suivant les bons vouloirs de son prince. Ce dernier lui demandera peu à peu de se convertir à l’islam. Faire les prières. Porter le Jilbab. Et de le rejoindre en Syrie pour le marier et vivre dans l’amour d’Allah.
En parallèle de ces deux destins aux trajectoires inversées – l’une se radicalise, l’autre cherche à se sortir de ses affabulations – nous suivons la situation tragique de Sylvie (Clotilde Courau), mère d’une enfant partie faire le djihad. Avec l’aide de Dounia Bouzar, conseillère de prévention sur les dérives sectaires de l’Islam, et ses échanges en présence d’autres parents victimes du même sort, la mère tentera de comprendre la radicalisation de sa fille qu’elle n’a vu venir à aucun moment.
À travers ses trois portraits féminins, Marie-Castille Mention-Schaar décortique un sujet difficile, sensible, et profondément ancré dans une réalité que l’homme s’efforce à comprendre. La réalisatrice apporte sa vision humaniste du problème, de la gangrène qui plane au dessus de ses jeunes femmes en crise identitaire, dont le contexte social et familial ne prédisait en aucun cas une telle aliénation. Grâce au croisement des deux axes narratifs majeurs centrés sur les adolescentes, Mention-Schaar réussit à donner écho aux deux parcours par une écriture étoffée et adroitement mise en scène. Brutal et direct, «Le Ciel Attendra» ne s’écarte jamais de son sujet douloureux, essaye de traduire sa réalité par une dimension psychologique étayée. Si Clotilde Courau et Sandrine Bonaire sont saisissantes dans leurs rôles de mères, la lumière est dirigée vers Naomi Amarger et Noémie Merlant, déjà aperçues dans Les Héritiers. Les deux actrices bouleversent par leur justesse et leur droiture face à des personnages aussi délicats.
Le film tente d’apporter ses solutions sans prétention, se focalisant sur l’information qu’il essaye de transmettre et la réflexion qu’il suscite, face à l’émotion indéniablement renforcée par l’actualité du sujet. Un reproche cependant, quant à la vision quelque peu étroite de la cinéaste sur les causes du problème. Les questions politiques, historiques et sociétales sont évitées, et le danger uniquement expliqué par l’impulsivité et la naïveté adolescente et une mauvaise communication familiale. Ces manquements sont pour le moins justifiés par la concentration du long métrage sur les rapports humains, l’incompréhension générale et les traumatismes familiaux générés par ces évènements.
Le Ciel Attendra
Festival del Film Locarno – Piazza Grande
De Marie-Castille Mention-Schaar
Avec Sandrine Bonaire, Clotilde Courau, Noémie Merlant, Naomi Amarger, Yvan Attal
Sortie romande: 5 octobre 2016