Malgré le piètre état du monde en cette année 2020, voici, après « Iniciales S.G. » et « La Odisea de Los Giles », une nouvelle preuve de l’excellente santé du cinéma argentin.
Déjà, les trois films ont en commun le désir de parler des petites gens. Les oubliés qui vivent dans la marge mais qui partagent une certaine idée de la solidarité et un besoin d’en découdre avec une société qui ne leur laisse que des miettes. Mais parfois, plutôt que de s’apitoyer sur leur sort, ils prennent les armes (…qu’ils ont à disposition), transforment leur indignation et leur invisibilité en vigueur et renversent les rapports de force. Le tout, si possible, dans la bonne humeur.
Voilà ce qu’est, en substance, « El Robo Del Siglo » de Ariel Winograd, ou l’histoire vraie d’un des casses les plus astucieux, classes et méticuleux de l’histoire du braquage. Le 13 janvier 2006, 6 bandits sortirent d’une succursale bancaire de Buenos Aires avec des sacs contenant entre 5 et 20 millions de dollars en lingots, bijoux et billets (le butin complet n’a jamais été retrouvé). Le réalisateur, même s’il prend d’inévitable libertés par rapport à la réalité, raconte ce « casse du siècle » en détails, avec rythme et humour tout en offrant d’excellentes partitions à sa petite troupe d’interprètes. De laquelle émergent surtout les deux acteurs principaux : Diego Peretti et Guillermo Francella. (Non pas que les autres déméritent mais ils sont clairement mis en retrait par le scénario et ont par conséquent moins d’occasions de briller). Le premier approfondit, par beaucoup d’aspects, le rôle qu’il tenait dans Iniciales S.G. et offre ici comme une extension du même personnage. De l’oisif inoffensif, ancré dans sa routine ouateuse, il crée l’éveillé qui découvrirait, un matin de gueule de bois, le besoin de se sortir les pouces… Le deuxième, qu’on a récemment vu dans Mi Obra Maestra en artiste espiègle et roublard, joue également dans les deux longs-métrages sur un registre très similaire. Mais qui lui va si bien… C’est donc un grand plaisir de voir ces deux acteurs récemment découverts, réunis dans une même œuvre.
Et pas n’importe quelle œuvre puisque ce « El Robo Del Siglo » appartient tout de même à un genre toujours très excitant, Le film de casse. Un sous-genre du film d’action qui semble basé sur le syndrome de Robin des Bois et sur le vieux fantasme qui ferait que les pauvres aiment l’idée de voler l’argent des riches, en faire bonne usage et rétablir un certain équilibre social (sic). Une philosophie que partage clairement le cerveau du casse. Et pour ce qui est de la forme, Ariel Winograd filme les préparatifs et l’exécution du casse avec panache, s’inspirant souvent du « Ocean’s Eleven » de Steven Soderbergh. Il lui emprunte d’ailleurs autant son rythme effréné que sa décontraction tout en usant de flash-backs et de divers effets de montage rappelant le style de Steven Soderbergh et permettant au spectateur de bien comprendre toute l’ingéniosité du plan des braqueurs. Même l’entraînante musique de Dario Eskenazi, aussi jazzy que funk-rock (en s’inspirant tout à coup même d’Ennio Morricone), rappelle la bande-son composée par David Holmes pour le film de 2001. Ces emprunts sont peut-être justement les limites du style de Ariel Winograd (« Mi primera Boda », « Tod@s Caen ») qui préfère imiter plutôt que trouver sa propre voix. Mais finalement, pourquoi bouder son plaisir ? Après tout, les braqueurs eux-mêmes se sont inspirés de Albert Spaggiari et son célèbre « sans arme, ni haine, ni violence » …
Pour finir, il est réjouissant de constater que le cinéaste ne s’embarrasse pas trop de morale policière. « El Robo del Siglo » fait clairement l’apologie des braqueurs, les présente comme des héros, honore leurs faits d’arme et c’est tant mieux, car on sort du film réjouis et titillés par l’idée de désobéir un peu et marcher, à notre manière, sur les « faux-pas » des héros du film !
Le Braquage du siècle
El robo del siglo (The Heist of the Century)
ARG – 2019 – Comédie, Crime – 1h54min
Réalisateur: Ariel Winograd
Casting: Diego Peretti, Luis Luque, Pablo Rago, Rafael Ferro
Trigon Film
16.12.2020 au cinéma