Il est préférable d’avoir lu notre critique avant de poursuivre votre lecture sur les références de ce très beau film.
INSPIRATIONS PHOTOGRAPHIQUES
Dès les premiers instants du film, c’est la force de sa cinématographie délicieusement enivrante qui saute aux yeux. L’esthétique de chaque plan repose essentiellement sur des inspirations photo journalistiques de l’époque de la guerre froide, durant les premières années qui ont vu Eisenhower à la présidence (1953).
Parmi les influences citées par les réalisateurs, on dénote celle la photographe Ruth Orkin mais surtout de Saul Leiter, peintre et photographe américain originaire de Pennsylvanie. Sa collection « Colors » – une série de clichés hauts en couleur capturant l’atmosphère new-yorkaise à travers passants, affiches et façades – est on ne peut plus représentative du style abordé par Todd Haynes et Ed Lachman. Les deux héroïnes du film, tout comme les sujets photographiques de Leiter, sont souvent filmées de manière décentrée, vues à travers une vitre, ou épiées par la caméra à travers une porte entrouverte. Cette technique ajoute au sentiment d’oppression associé à la nature alors taboue de leur relation et du périmètre réduit dans lequel celle-ci pouvait s’exprimer. Le rendu est une somptueuse et angoissante poésie visuelle
Vivian Maier, est aussi mentionnée dans ce domaine. On notera l’influence de son personnage sur celui de Therese plus que de celle de ses clichés sur l’image du film. Jeune New-yorkaise de nature introvertie, il semblerait qu’elle n’eut ni mari, ni enfants, ni amis proches, laissant ainsi sa talentueuse existence dans l’ombre – dans laquelle elle semblait elle-même prône à se photographier (voir la collection « Vivian Maier Out of The Shadow » ou « Self-Portraits »).
Ce ne fut que des années après sa mort que l’on découvrit la vaste étendue et la qualité de ses nombreux clichés. Aujourd’hui le puzzle de sa vie ne peut se résoudre qu’à travers son existence photographique. Et les passionnés y travaillent dur, comme on peut le constater dans « Finding Vivian Maier », long-métrage de John Maloof et Charlie Siskel qui remporta l’Oscar du meilleur film documentaire en 2015.
RÉFÉRENCES LITTÉRAIRES
Parmi ses inspirations littéraires, Todd Haynes cite notamment un grand classique de Roland Barthes, « Fragments d’un discours amoureux », essai publié en 1977. C’est le recueil de l’âme amoureuse déversée à travers les pages. Les mots, questionnements, et pensées du sujet éperdument épris, au mental continuellement stimulé par l’être aimé. C’est une des plus belles tentatives de communion et confrontation entre la syntaxe et l’amour.
La corrélation entre le mental de l’amoureux et le mental du criminel intéressa Todd Haynes : « Tous deux sont constamment en surproduction, à fantasmer et appréhender les meilleurs et les pires scénarios que le futur et son incertitude face à leur sujet, amour ou crime, pourrait offrir. »
Tel est le plongeon que le roman permet aux lecteurs quant au personnage de Therese, très peu vocal, dont la richesse du monde intérieur nous est exposée à travers le suivit intense de ses pensées. Retransmettre ne serait-ce qu’un dixième du mental amoureux, extrême et hyperactif de la Therese Belivet du livre est un challenge de taille ! Le film lui-même n’offre pas du dialogue en abondance. Chaque parole entre les deux femmes, lorsqu’elle daigne être prononcée, est pesée… Les regards et les non-dits – maîtrisé par les actrices avec brio – en disent plus que les mots. Pour citer Wolfgang Amadeus Mozart: « La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence. » Dans « Carol », c’est on ne peut plus le cas.
CONTROVERSE PRÉ-OSCARS
L’interprétation de Therese est une réussite qui vient souligner le talent de Rooney Mara. Et même si le monde semblait anticiper une apothéose de jeu fournie par Cate Blanchett – pas peu mémorable certes – c’est bel et bien Rooney Mara qui en détient l’acmé. Plus naturelle, un tantinet moins forcée, sa performance lui valut à raison la Palme de la meilleure actrice au festival de Cannes en mai dernier.
Dans sa campagne pré-Oscars, le producteur craint Harvey Weinstein, président de The Weinstein Company (distributeur US de « Carol »), a décidé de « vendre » Rooney Mara à l’enseigne de « meilleure actrice dans un second rôle » et Cate Blanchett à celle de « meilleure actrice », ce qu’il justifie en répondant que « Therese a un rôle plus silencieux »… L’importance d’un personnage se mesure-t-elle à son débit de parole ? La réponse est non.
Ce fait pose un énorme point d’interrogation ! Une décision à l’arrière-goût marketing peu cohérente avec le déroulement de tout ce qui prend place à l’écran et basée peut-être plus sur le mythe Cate Blanchett, que sur la place qu’occupe son personnage au sein de l’histoire. Le film s’appelle peut-être « Carol », mais le rôle de Therese n’en reste pas moins important – voir à peine plus crucial – et TOUT sauf second.
Dans le roman, Therese est la protagoniste principal. Le film a quelque peu égalisé les points de vue. C’est Carol à travers Therese et Therese par rapport à Carol qui constituent sa dynamique. Les deux femmes ont un impact tout aussi important sur le public et l’une sur l’autre. Les deux devraient donc idéalement être représentées comme les actrices principales du film, et si choix devait se faire Therese reste notre fil conducteur. Sa découverte de soi va engendrer la plus importante métamorphose. C’est elle que l’on découvre en premier et c’est elle qui prend l’ultime décision qui vient retourner le cours de l’histoire et sceller le destin des personnages dans les derniers instants du film, offrant ainsi une lueur d’espoir à leur bonheur.
Carol – Trailer VOSTFR par TheDailyMovies
Carol
De Todd Haynes
Avec : Cate Blanchett, Rooney Mara, Sarah Paulson…
Pathé Films
Au cinéma le 13 janvier 2016