Jusqu’où peut conduire la quête du succès ?
Au début des années 60, Margaret (Amy Adams) est artiste-peintre. Elle quitte son mari et demande le divorce, chose peu courante et par ailleurs assez mal vue à l’époque. Installée depuis peu à San Francisco, elle y rencontre un peintre du dimanche, Walter Keane (Christoph Waltz), agent immobilier ayant exécuté des vues de Montmartre lors d’un séjour parisien. Le courant passe bien entre les deux, à tel point que lorsque l’ex-mari de Margaret revient à la charge pour récupérer la garde de leur fille Jane, Walter propose un toit et le mariage pour arranger la situation. Si Walter est piètre plasticien, il a par contre un vrai sens des affaires. Un aspect singulier dans l’art de Margaret retient son attention : toutes ses œuvres – kitsch au demeurant – représentent des enfants aux yeux hypertrophiés (entre anime japonais et Poulbots parisiens). Le nouveau mari se lance donc comme agent de son épouse. Son premier lieu d’expo sera le couloir menant aux toilettes du club du musicien de jazz Cal Tjader. Comme une dispute entre le vibraphoniste et le manager fait la une de la presse à potins, les ventes démarrent, c’est la naissance d’un empire commercial mondial, avec à la clef des milliers de posters et de cartes postales vendues.
Le milieu de l’art demeurant encore très misogyne, Walter le beau parleur et artiste raté, sur un malentendu, décide de se faire passer pour le créateur des peintures qu’il signe de son patronyme. Margaret accepte avec réticence ce marché. Après quelques années, Margaret quitte Walter et porte l’affaire devant les tribunaux pour obtenir gain de cause et reconnaissance.
Notoriété et succès, jusqu’ où cette quête peut-elle conduire ? Dans le cas de Margaret, elle accepte un pacte quasi faustien avec Walter, et à un moment, le bienveillant bonhomme pense même à aménager un espace pour la création de Margaret. Ce nouveau style pictural ne remporte pourtant pas l’assentiment général comme c’est le cas pour les « Big Eyes ».
Pour la deuxième fois, Tim Burton réalise un biopic (la première fois, il s’agissait de « Ed Wood » (1991), qui narrait la vie du pire cinéaste de l’histoire du cinéma). Avec « Big Eyes », Burton fait une pause et laisse provisoirement de côté son univers gothique et féérique, pour s’interroger sur la création artistique. Qu’est ce qui est de bon goût, qu’est qui est kitsch qu’est-ce qui ne l’est pas ? Art et commerce (naissance du merchandising) font-ils bon ménage ?
Ce « petit » Burton, un travail de commande, se révèle bien scénarisé et dialogué avec un casting et des acteurs principaux à la performance sans faute. Mention spéciale à Christophe Waltz, menteur mielleux à souhait dans la version originale, un trait hélas gommé dans le doublage français. Par contraste, Amy Adams incarne une innocence et une fraîcheur irréprochables.
Big Eyes
De Tim Burton
Avec Amy Adams, Christoph Waltz
Ascot Elite
(Miguel Gregori – FNAC Rive – Genève)