Bienvenue à Tollywood, l’antre du cinéma indien en langue telugu basé à Hyderabad, dans l’Etat de l’Andra Pradesh. Un cinéma populaire où la moustache n’est pas encore un attribut ringard mais la norme, où les hommes ne sont pas des êtres fragiles, à l’écoute de leurs tourments intimes, mais de solides gaillards qui respectent leurs aînés, vénèrent leur patrie, protègent leurs sœurs, honorent leurs épouses et flanquent des raclées aux gredins !
UN FILM MOUSTACHU…
Digne représentant de ce cinéma macho, « Alluda Majaka » met en scène Chiranjeevi, une super star locale spécialisée dans les rôles de héros droits dans leurs bottes, combattant les injustices à grands coups de tatane dans les gencives. Coiffé d’une élégante mulette, le visage barré d’une épaisse moustache qu’on devine à l’épreuve des balles, épais comme un bœuf et viril comme un taureau reproducteur, Chiru incarne le héros populaire indien dans toute sa splendeur trapue. Il est ici Seetharam, un mec bien sous tous rapports. Grand propriétaire terrien, mais qui laboure lui même ses champs, c’est un brahim, mais généreux avec les membres des castes inférieures. Seetharam a un charme fou, danse comme un Dieu : en somme, c’est un croisement sauce curry de Chuck Norris et Alain Delon.
Oui mais voilà, tout le monde n’est pas comme Seetharam. En Inde comme ailleurs, il y a aussi des salauds, des fourbes, des comploteurs, des flics ripoux, des juges corrompus, des politiciens véreux, et même des danseurs médiocres. Des vilains pas beaux qui vont jeter notre gendre indien idéal dans les rets d’un destin contraire. Il sera jeté en prison, son père poussé au suicide, sa sœur abusée, leur famille déshonorée.
Mais ce que ses perfides ennemis ignorent, c’est que Seetharam est un cogneur prompt à faire appliquer la loi du talion, un homme d’action, un vrai, un qui sent la sueur qui pique le nez. Il peut glisser sous un camion à cheval ou faire des sauts en tracteur à la seule force des poignets, comme sur un vulgaire BMX. Ses saltos et autres coups de pieds sautés ignorent les lois de la pesanteur. Seetharam a le pouvoir de se transformer en mannequin en mousse, et de faire exploser des hors-bords juste en les touchant. Quand il ouvre la bouche, la béatitude fige le visage de ses interlocutrices. Il est même adulé à un point tel que lorsque la police l’arrête, le peuple menace de s’immoler par le feu si on ne le libère pas sur le champ. Seetharam est un amant si exceptionnellement vigoureux qu’il est capable de se taper deux sœurs et leur mère dans la même soirée (une prouesse qui n’a pas eu l’heur de plaire à la censure indienne).
…ET SÉVÈREMENT BURNÉ !
Nanarland a déjà eu maintes fois l’occasion de louer les vertus furieusement récréatives du cinéma indien. Un cinéma simple, avec des héroïnes, des méchants qui les ligotent sur des rails, et des héros qui arrivent juste à temps. Un cinéma qui méprise volontiers la vraisemblance, la pondération, et autres concepts de fillette dont le public se contrefiche. Bref, du cinéma-spectacle aussi idiot qu’enthousiasmant ! Avec bien sûr ses traditionnelles séquences chantées et dansées qui offre un déballage de kitsch rarement atteint, dont le temps fort reste la reprise du « We Will Rock You » de Queen, dispensée avec la légèreté d’un orchestre bavarois un jour de fête de la bière, ainsi qu’un intermède romantique dans un faux parc Disneyland, avec des Donald et des Mickey en carton-pâte absolument terrifiants. Plus qu’un petit plaisir coupable ou qu’un simple nanar « exotique », « Alluda Majaka » est un divertissement dans l’excès et la surenchère systématique. Du cinéma large d’épaules et fort en gueule, célébrant dans un beau vacarme la virilité triomphante des héros indiens. Un cinéma de dinosaure en voie d’extinction, perpétuellement en retard d’une mode, dont la bassesse de front et le premier degré implacable saisissent le spectateur comme un pain dans la tronche.
[RA]