Productrice, journaliste, animatrice d’émission radio et télé, Emmanuelle Gaume s’est plongée depuis quelques temps dans la vie extraordinaire d’Alice Guy, la première femme cinéaste de l’histoire. Un roman biographique captivant et sensible qui mérite la lecture. Rien de mieux pour connaître cette période incroyable du cinéma.
Comment est né votre intérêt pour la réalisatrice Alice Guy ?
De ma passion pour le cinéma, l’histoire, et les beaux personnages ! J’aime découvrir et faire partager mes découvertes. C’est en plongeant dans la grande histoire du 7ème art que j’ai croisé Alice, seule femme cinéaste des débuts du cinéma pendant 17 ans ! Un seul visage de femme au milieu de centaines de pionniers… Elle s’est vite distinguée !
Le travail de recherche autour d’Alice Guy a-t-il été compliqué ?
Ce fut surtout long et ce n’est pas terminé ! Je travaille sur le sujet depuis 2012 et je découvre encore des documents, de nouvelles images… Ma rencontre avec la petite fille d’Alice, Régine Blaché-Bolton, et l’amitié qui a découlé de cette rencontre a été fondamentale. Régine était, car elle est malheureusement décédée il y a peu, la mémoire vivante de sa grand-mère. Elle m’a ouvert les archives familiales et surtout elle m’a confié les souvenirs qu’elle avait de sa grand-mère. Ce sont ces souvenirs qui m’ont permis de sculpter le personnage d’Alice Guy dans mon roman puis de construire mon film sur elle.
A cette époque, comment était-elle dans la vie ?
Comme George Sand, Sarah Bernhardt, ou Colette elle était hors-normes ! Émancipée à l’âge de 15 ans après le décès de son père, elle a pu travailler, gagner de l’argent, voyager… Toutes choses parfaitement inaccessibles aux jeunes femmes de l’époque qui ne pouvaient rien décider pour elles. Elles étaient contraintes par la loi, soumises à la tutelle de leur père, ou de leur mari. Elle a pu choisir de faire un métier réservé aux hommes ! Volontaire, autoritaire, créative, entièrement dévouée à son métier, elle a consacré sa vie à faire du cinéma puis à se faire reconnaître comme première femme cinéaste. Comme tous les beaux personnages, elle est assez double… une main de fer dans un gant de velours ! Sa carrière est flamboyante et son histoire d’amour avec le seul homme de sa vie (et père de ses enfants) est un mélodrame hollywoodien !
Mais était-elle déjà vraiment connue et reconnue à l’époque ?
Reconnue dans le milieu professionnel en France à l’époque des débuts (1896-1906), elle est la seule femme directrice chez Gaumont, puis star aux Etats-Unis entre 1910 et 1920 ! Il existe des centaines d’articles de presse américains sur elle, c’est incroyable de découvrir qu’elle fut le premier cinéaste et producteur médiatisé de l’histoire du cinéma ! Son statut de femme et de Française (première nation cinématographique au monde à l’époque) y est pour beaucoup.
Pourtant, comment expliquez-vous ce silence autour de ce monument du cinéma muet qui a la plus longue longévité professionnelle ?
Il y a au moins trois raisons. D’abord ce silence ne lui est pas réservé, il concerne tellement de cinéastes du muet ! Qui connaît aujourd’hui Etienne Arnaud ? Emile Cohl ? Léonce Perret ? Jean Durand ? Qui a vu leur films ? Ensuite, son départ pour les Etats-Unis est une autre raison qui explique sa « disparition » de l’histoire du cinéma en France… Elle est devenue « cinéaste américaine » entre 1908 et 1920. Enfin elle a dû se battre pour se faire reconnaître dans les années cinquante en France car c’est une époque où la place des femmes est encore mineure, je rappelle qu’elles n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1944 ! Une femme cinéaste dans ces années là, c’était comme une femme pilote d’avion, c’est au mieux une bizarrerie ou au pire une aberration !
Votre roman biographique sur Alice Guy, est aussi un peu un roman d’amour, non ?
C’est l’histoire d’une femme totalement animée puis dévorée par sa passion pour le cinéma et pour un homme qui l’a aidée (avant de la ruiner !) à devenir ce qu’elle voulait être : la première cinéaste au monde.
Est-ce que le cinéma d’aujourd’hui a tout de même changé vis-à-vis des femmes ?
Ça bouge, lentement… 25% de femmes cinéastes, ce chiffre dit bien combien ce métier traite encore les femmes comme une minorité.
Comme pour le film « Chocolat » de Roschdy Zem qui met en lumière l’histoire oubliée du premier artiste noir de la scène française, Alice Guy ne mériterait-elle pas aussi son film ?
Oui ! C’est un magnifique sujet cinématographique ! Plusieurs projets circulent, dont le mien…
La prochaine étape c’est votre documentaire pour France 3, qui verra le jour en mars 2016. Que pouvez-vous dire aux spectateurs pour ne pas rater ce rendez-vous ?
Le film est dans la boîte! J’ai fini de le tourner hier. Avec la présence lumineuse d’Alexandra Lamy (grande fan d’Alice Guy) dans le rôle d’Alice, c’est un film qui retrace la vie de la cinéaste à travers ses films. J’ai choisi la forme documentaire-fiction pour rendre hommage à mon sujet : qui inventa la fiction au cinéma !
The picture of the lady with the ringlets is Mary Pickford.