Un exercice de style étonnant, à la gloire du fascinant leader des Bad Seeds, de Grinderman, de Birthday Party… Onirique, beau… et un peu frustrant.
D’emblée, évitons le malentendu : « 20’000 Days on Earth », premier long métrage des artistes Iain Forsyth et Jane Pollard, n’est pas un documentaire mais un docufiction sur Nick Cave, coécrit par celui-ci et axé sur les plus récentes années de sa carrière. Ici, il ne sera pas question de rétrospective sur le parcours d’un des meilleurs auteurs-compositeurs du 20ème siècle (et au-delà). On aura droit à peu (ou prou) de révélations croustillantes sur les années de débauche berlinoise qui ont contribué à la réputation du ténébreux Australien et de son groupe, les bien nommés Bad Seeds. On y cherchera en vain la profusion d’images d’archives qui font généralement l’intérêt de ce genre de réalisation ; les quelques extraits d’époque sont regroupés dans un montage frénétique qui fait défiler en accéléré, au début du film, ces fameux 20’000 jours sur Terre.
Car le projet de Nick Cave est tout autre : montrer ce qu’est la journée fantasmée d’un crooner gothico-romantique quinquagénaire, certes icône incontestée du rock’n’roll et démon de la scène, mais devenu entretemps père de famille apaisé et respectable. De prime abord, la vision paraît un peu lustrée, voire tronquée. Y aurait-il erreur sur le sujet du film ? Doit-on souffrir l’embourgeoisement de celui qui chante le blues, le diable et la défonce mieux que personne ? Non, car Nick Cave qui se met lui-même en scène, cela donne heureusement un minimum de séquences traversées par son magnétisme hallucinant, son génie musical, son histoire intime.
Le spectateur de « 20’000 Days on Earth » est donc invité à suivre 24 heures durant le chanteur de « Red Right Hand » et de « Where The Wild Roses Grow », le temps d’une déambulation surréaliste qui l’amène à croiser actrices et acteurs de son existence. En vrac, Nick Cave revisite les pièces à conviction de son passé à la façon d’une enquête policière, en compagnie des archivistes d’un curieux entrepôt à souvenirs personnels. Lors de trajets en voiture sous la pluie, il se chicane avec de vieilles connaissances : l’acteur Ray Winstone, Kylie Minogue, Blixa Bargeld… Sur la route, il rend visite à ses musiciens ; la conversation étrange et hilarante avec Warren Ellis, son plus grand complice, s’impose d’emblée comme une scène incontournable. Le rapport à son défunt père et l’amour pour sa femme sont tous deux évoqués avec poésie. Quand à la musique, elle n’est bien sûr pas en reste, avec de généreuses (pour ne pas dire longues) interprétations live et en studio. Exclusivement consacrées aux superbes titres de son dernier album, « Push The Sky Away », elles ont pour défaut de faire passer une partie du film pour un clip promotionnel de luxe.
On l’aura compris, « 20’000 Days on Earth » fourmille de plein de choses sans convaincre totalement. Si les qualités esthétiques et le sérieux de la réalisation sont à la hauteur des personnalités filmées, l’angle adopté déçoit. Les groupies de Nick Cave resteront sur leur faim, malgré de nombreux clins d’œil ; les néophytes découvriront un univers personnel foisonnant, mais hermétique. On se consolera comme on peut : si l’œuvre de Nick Cave écrivain et musicien attend encore un documentaire digne de ce nom, Nick Cave le narcissique magnifique a déjà trouvé un écrin cinématographique idéal.
20’000 Days on Earth
De Iain Forsyth & Jane Pollard
Avec Nick Cave, Warren Ellis, Susie Bick
Distributeur : Xenix
Sortie le 18 février 2015