Comment faire des films lorsque son gouvernement vous l’interdit ? Jafar Panahi trouve une réponse singulière.
Sans tomber dans la caricature et le jugement trop hâtif, le moins que l’on puisse dire est que la situation du cinéaste iranien Jafar Panahi est assez unique. En effet, par jugement officiel, le metteur en scène a l’interdiction pendant vingt ans de réaliser des films ainsi que de quitter son pays. Et malgré ces contraintes, Panahi poursuit son chemin. Dans son dernier opus, l’ancien assistant d’Abbas Kiarostami parcourt Téhéran à bord d’un taxi, prenant toutes sortes de passagers, représentatifs chacun à sa manière de la situation du pays. « Taxi Teheran » évoquera immanquablement, à ceux qui connaissent Jim Jarmusch son « Night On Earth », du fait de son dispositif similaire (se déroulant dans des taxis en l’occurrence). Mais la comparaison s’arrête là. Dans le cas de Jarmusch, on sait clairement qu’il s’agit de fiction, alors que chez Panahi, on a en apparence – en apparence seulement – du cinéma vérité, car si le cinéaste a fait appel à des non-professionnels (leurs noms n’étant d’ailleurs pas cités au générique pour les protéger), il y a cependant aussi des amis du réalisateur, jouant leur propre rôle. Panahi, quant à lui, endosse le costume du conducteur de taxi, que certains passagers reconnaîtront, et d’autres pas.
Le long-métrage se divise en tranches de vie. La surréaliste, avec deux dames d’un certain âge transportant un bocal de poissons rouges. Ce qui doit arriver finit par arriver : le récipient se brise dans le véhicule, et ces deux femmes superstitieuses supplient qu’on les amène à l’hôpital le plus proche, car dans leur esprit, la disparition des poissons scelle également leur sort. Tout aussi surréaliste, la séquence du blessé au chapitre de la mort et de sa jeune épouse, dictant ses dernières volontés.
Une autre est centré autour du cinéma, avec Amid, revendeur sous le manteau des derniers DVD de films ou séries américaines à la mode. Les compères se rendant chez un jeune étudiant en cinéma de la classe aisée, qui demande des conseils au cinéaste, le novice avouant qu’il n’a pas d’idées. Panahi explique à l’apprenti cinéphile que là réside toute la question et que seul lui-même pourra trouver cela au fond de sa propre personne. Une autre scène traitant du septième art met en piste la nièce du cinéaste, qui, dans le cadre d’un travail scolaire, doit fournir un script de film se conformant à tous les usages coraniques et faisant l’impasse sur l’humour noir.
Une troisième affronte des thèmes plus politiques, avec l’avocate Nasrin Sotoudeh, dans son propre rôle, militante des droits de l’homme, interdite d’exercer sa profession depuis 2011. Une autre séquence met en scène la conversation autour de la peine de mort, entre un homme qui estime qu’elle servirait d’exemple et une institutrice indignée par ce point de vue. Sujet central, une majorité de femmes donc, auxquelles Jafar Panahi donne la parole. On se souvient d’ailleurs qu’elles étaient cruciales dans « Le Cercle » (2001).
La version DVD (point de Blu-ray !), est des plus succinctes, les bonus se limitant à une bande-annonce du film. On aurait souhaité quelques séquences inédites non gardées au montage, mais l’essentiel est quand même là.
Taxi Teheran
De et avec Jafar Panahi
Impuls
[Miguel Gregori – FNAC Rive – Genève]