Nous avons eu la chance de rencontrer le jeune prodige Joseph Gordon-Levitt lors de son passage à Paris pour promouvoir son premier long-métrage, « Don Jon », une comédie romantique irrévérencieuse qui n’hésite pas à bousculer un peu le spectateur.
– Comment avez-vous eu cette idée d’un accro au porno qui tombe amoureux d’une fan de « romcom » ?
– Je voulais raconter une histoire qui montrait que parfois on se traitait plus comme des objets que comme des êtres humains, et comment les médias peuvent y contribuer. Et je me suis dit que mettre deux personnages, où lui regardait trop de pornographie et elle regardait trop de comédies romantiques, était une façon drôle de raconter cette histoire. Ils ont des attentes complètement surréalistes à cause de ça, de comment est l’amour, le sexe. Et c’est comme ça que j’ai commencé à écrire cette histoire.
– Vous pensez que les réseaux sociaux ont changé les relations humaines et ont en quelque sorte remplacé les lettres d’amour ?
– D’une certaine manière c’est la même chose. Internet a changé beaucoup de choses, c’est certain. Ça a tout changé. Mais c’est à double tranchant : d’un côté ça peut nous rapprocher, permettre de se connaître beaucoup mieux qu’avant. Mais de l’autre, ça peut aussi nous coller automatiquement une étiquette. C’est vraiment à nous de faire attention à comment utiliser cette technologie.
– Est-ce que la vision qu’on a du couple a changé avec le porno et les films romantiques ? Est-ce que ça nous donne trop d’attentes et de déceptions ?
– Encore une fois, je pense que c’est vraiment à nous de faire attention. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de vraiment mauvais avec la pornographie ou les comédies romantiques, ça peut être perçu comme des fantasmes. La vraie question c’est comment on décide d’interpréter ces médias. Si on commence à comparer nos vies avec ces fantasmes, ça peut être un souci et nous décevoir si on espère que ce qu’on verra à l’écran se calquera sur nos vies. Alors que la vraie vie est beaucoup plus belle, détaillée, riche, qu’aucun film ne pourra l’être. Dans « Don Jon », Jon et Barbara ne voient pas ce qu’il y a d’absolument génial dans la vie parce qu’ils sont trop occupés à vouloir une idée toute faite de la vie, ils ne voient pas ce qu’il y a d’unique dans la vie.
– Est-ce qu’il y a une part d’autobiographie ?
– J’ai regardé des pornos, j’ai regardé des comédies romantiques. Je ne me considère pas comme un addict mais on est tous impacté par les médias qu’on consomme. Mais la pornographie ne m’a pas plus impacté qu’un autre média. Si ce film est personnel, c’est parce que j’ai grandi dans le milieu de la télévision et du cinéma et je suis particulièrement au courant de l’influence qu’a sur moi et sur les autres ce qu’on voit à l’écran, je n’y ai juste jamais trop prêté d’attention, et c’est justement pour ça que je voulais raconter cette histoire, parce que je n’y faisais pas attention.
– Quelles ont-été vos inspirations pour Jon et pour la réalisation ?
– J’ai vraiment été influencé par les films d’Hal Ashby. Ces films sont toujours très drôles mais l’humour vient des personnages plutôt que des blagues. C’était une comédie comme ça que je voulais faire. « Shampoo » a beaucoup de similarité avec « Don Jon ». Le personnage joué par Warren Beaty est aussi égoïste, mais à la fois charmant et toujours en train d’essayer de faire du mieux qu’il peut. Pour Jon, c’est évidemment une version contemporaine du classique de la littérature « Don Juan », tout en ayant une grosse différence : Don Juan est un drame, le personnage est détruit à la fin. Je suis plutôt quelqu’un d’optimiste et je pense que les gens peuvent changer. Et à la fin de Don Jon on voit les premières étapes de sa « nouvelle vie » et comment il essaie de se connecter avec les personnes qui l’entourent.
– Ça fait quoi de jouer, selon le magazine Esquire, avec la femme la plus sexy du monde ?
– Et bien c’est un excellent d’exemple de ce à quoi s’intéresse le film. Bien sûr Scarlett est très sexy mais elle est tellement plus. Elle est très intéressante, intelligente et c’est une artiste très douée. J’aimerais que les gens parlent plus de ça parce qu’elle le mérite.
– Vous êtes tous les deux réputés pour être très classes et chics. Vos personnages étaient-ils une façon de casser cette image ? Comment avez-vous fait pour rendre les personnages de Barbara et Jon si détestable ?
– Je ne sais pas vraiment comment on en est arrivé là. On l’a juste fait. Vous savez, Scarlett et moi on a tous les deux grandi à New-York donc on ne se considère pas vraiment comme chics. C’est toujours connecté à une certaine richesse. Et bon, quand on est en promo comme ça, vous savez, ce ne sont même pas mes vêtements, on m’habille comme ça (rires).
– Pourquoi Tony Danza ? C’est un hommage à « Madame est servie ? »
– Tony et moi on a travaillé ensemble il y a vingt ans, et on a toujours été très proche, j’aime beaucoup Tony. Et on est obligé de l’aimer. Vous le voyez à l’écran, vous souriez naturellement. Et j’aimais bien l’idée d’avoir Tony, qui est naturellement adorable, jouant un personnage assez envahissant. Comme je le disais, les médias ont une grande influence sur nous mais pas seulement, donc je voulais vraiment qu’on voit la famille de Jon pour qu’on comprenne comment et pourquoi il est comme ça en plus des médias qu’il consomme. Et Tony joue un personnage qui ressemble beaucoup au mien. Avoir cet acteur jouer un tel personnage, j’ai trouvé ça surprenant et drôle.
– Jouer, produire, écrire et réaliser en même temps : quelle a été la chose la plus difficile et la chose la plus cool à faire ?
Le plus dur a été le début, l’écriture. Quand tu t’assois tout seul et que tu as des voix dans la tête qui te disent : « tu n’es pas obligé de faire ça, arrête, d’autres le font beaucoup mieux que toi ». C’est difficile de passer outre ces voix ! Je pense que je les ai ignorées parce que je passais un bon moment et que j’ai fini par me dire « on s’en fout si ça finit par être un film ou rien du tout, je m’éclate ». Puis ça a changé quand j’ai commencé à lire le script à des gens. La première personne qui l’a lu était Rian Johnson, réalisateur de « Looper ». Quand il m’a dit « tu tiens quelque chose, ça peut être vraiment bien », ça a été un vrai tournant pour moi.
– En 2015 on va avoir « Avatar 2 », « Star Wars 7 », « Pirates des Caraïbes 5 », « Terminator 5 »… Entre ces franchises, remakes et suites, vous pensez qu’il y a toujours de la place pour du matériel original ?
– Il n’y a rien de vraiment mauvais à raconter une histoire qui a déjà été racontée, Don Jon est basé sur une histoire classique (« Don Juan »). Mais le public aime autant les histoires qu’il connaît que les nouvelles histoires, ça dépend vraiment de comment vous les racontez.
[Alexandre Loos – www.cloneweb.net]