Attendu dans les salles romandes pour octobre, le film d’animation Suisse Ma Vie de Courgette a déjà rencontré un premier succès en festival. Lors de sa première projection publique à Cannes dans le cadre de la Quinzaine Des Réalisateurs, et récemment au Festival international du film d’animation d’Annecy où il a décroché deux prix. Discussion autour d’un café, sur le toit d’un hôtel cannois au lendemain de leur présentation ovationnée, avec le metteur en scène valaisan Claude Barras et Céline Sciamma (Tomboy, Bande De Filles), qui troque la réalisation pour l’écriture.
Ma Vie de Courgette a nécessité une dizaine d’année de travail. À quel stade d’avancement du projet vous êtes vous rencontrés ?
Claude Barras : Au bon moment (rires) ! Il est vrai que je tournais un peu en rond. Après avoir choisi et dessiné les personnages du livre que je voulais développer, je ne savais pas comment diriger mon récit, si je devais raconter l’histoire de manière épisodique ou non. C’est ma productrice, qui est aussi celle de Céline, qui nous a mis en contact en 2012. Je connaissais ses films, que j’aimais beaucoup, mais nous n’avions pas encore eu l’occasion de nous rencontrer.
Céline Sciamma : J’ai tout de suite eu une grande confiance en Claude et en son projet. Le travail s’est fait très naturellement par la suite, malgré notre timidité commune (rires).
Qu’est-ce qui vous a tant séduit dans Autobiographie d’une Courgette, le roman de Gilles Paris, pour en faire une adaptation animée et y consacrer autant de temps de votre vie ?
CB: C’est Cédric Louis, un ami avec qui je tournais des courts métrages, qui m’a fait lire le roman, persuadé que je tomberais sous le charme. Il est vrai que l’on avait déjà abordé le thème de la souffrance enfantine ensemble avec Banquise (2005), qui racontait l’histoire de Marine, une petite fille obèse qui souffre du regard des autres. Courgette m’est apparu comme étant son petit frère. Je suis tombé amoureux des personnages et de la tendresse avec laquelle l’auteur les avait racontés.
Céline, vous aviez déjà exploités des personnages enfantins et adolescents mis à l’écart dans vos films Tomboy et Bande de Filles. En quoi ce thème vous intéresse-t-il ?
CS : Je suis avant tout intéressée par les personnages marginaux, quel que soit leur âge. Premièrement en terme d’engagement et de conviction politique, mais aussi et avant tout en terme de fiction que cela permet. Pour moi l’héroïsme vient de la marge. Si l’on regarde bien, tous les super héros sont des marginaux. Ce sont eux qui ont l’intelligence de l’adaptation et qui composent avec cette situation. Il y a un vrai potentiel émotionnel pour faire un cinéma à la fois engagé et généreux. Je pense aussi que c’est ce regard sur les personnages et cette tendresse qui m’ont plu chez Claude.
C’est peut être cette tendresse commune qui aide à mieux faire passer votre message ? Le fait de traiter d’un sujet dramatique avec la légèreté d’un enfant ?
CB : Oui, je pense que c’était une volonté assez claire dans le scénario de Céline. Cette idée m’a plu et je l’ai exploitée au moment de l’enregistrement des voix des enfants. On a choisi volontairement de prendre des comédiens professionnels pour les adultes, et de recréer naturellement une bande d’amis pour les enfants. Ce sont tous de jeunes amateurs que l’on a casté, pour ensuite les orienter sur un personnage en fonction de leur personnalité et leur âge. On a cherché à obtenir les interactions les plus naturelles possibles, pour rendre crédibles les réactions enfantines des protagonistes. Ce qui est drôle, c’est que l’enfant qui fait la voix de Simon était à l’origine Courgette dans le film pilote. Puisque trois ans avaient passés et que sa voix avait muée, on lui a proposé de prendre le rôle de l’enfant plus âgé.
Le personnage de Simon est d’ailleurs l’antagoniste de Courgette à la base. Le petit caïd du foyer, une vraie tête à claque. Alors qu’il se révèle ensuite être l’un des plus tendres, renfermant une douleur profonde…
CS : On la sent d’ailleurs assez rapidement je trouve, cette tristesse qu’il cache. Dans le scénario je me suis amusé à ce que Camille, la nouvelle arrivée au foyer affirmant vite sa maturité, le remette directement en question et le descende vite de son piédestal.
CB : C’est d’ailleurs à ce moment du scénario où j’ai pensé que Céline et moi nous connaissions, tellement elle savait ce que j’avais en tête et la direction que je voulais faire prendre à ces jeunes personnages. Il y a beaucoup de répondant, une certaine symétrie avec laquelle j’ai essayé de composer mon cadre dans la réalisation.
Il y a aussi ce personnage du policier, très touchant dans sa manière de prendre Courgette sous son aile et de l’accompagner avec la tendresse d’un père. Cela amène une nouvelle dimension au film à un moment précis. Est-ce une idée qui vient de vous ?
CS : Le personnage figurait dans le roman et dans la première ébauche du scénario, mais cette clé dont vous parlez n’était pas dans le livre. Nous avons décidé de la rajouter afin d’apporter une nouvelle dimension émotionnelle, de montrer que les parents aussi peuvent être abandonnés par leurs enfants. Ce n’est pas parce qu’on est à leur hauteur, que les adultes n’existent pas comme leurs alter-egos. On a voulu balayer cette hiérarchie entre l’intelligence et le rapport au pouvoir.
Il n’y a d’ailleurs jamais de figure d’autorité chez ces adultes. On ressent plutôt une empathie, une compréhension et un partage…
CS : Je crois que les enfants éduquent beaucoup leurs parents, que c’est d’ailleurs pour ça qu’il faut en faire. Pour continuer à grandir, à vivre dans la même époque qu’eux et à les comprendre. Ils vivent aussi les attentats et la morosité de l’actualité, ont leur part de secret dans leurs drames intimes, ressentent aussi des peurs. J’aimais ce pied d’égalité dans l’humanité de chaque personnage. C’est, je pense, un endroit progressiste du film. Dans les relations entre les adultes et les enfants. Et savoir qui éduque qui…