Rencontre avec le réalisateur de « A l’origine », « Quand j’étais chanteur » ou « Superstar », à l’occasion de la sortie de » Marguerite « , son dernier film.
– Comment avez-vous eu connaissance de l’histoire de cette chanteuse américaine, Florence Foster Jenkins ?
Quand j’y repense, tout a commencé il y a une dizaine d’années par un grand éclat de rire. En écoutant la radio, je suis tombé sur cette voix totalement dingue, complètement fausse, d’une femme qui chantait un air célèbre de Mozart. J’avais l’impression qu’on étranglait le perroquet de Mozart, tant c’était faux ! Le journaliste expliquait que cette femme avait fini par chanter au Carnegie Hall de New York. Bien sûr, je me suis demandé comment c’était possible, et j’ai débuté une enquête pour tout savoir sur elle. Je me suis vite rendu compte que les déchirements qu’on entendait dans sa voix étaient l’écho des déchirements présents dans son coeur et dans sa vie.
– Par où avez-vous débuté cette enquête ?
A New York, où j’ai déniché un tas de coupures de presse des années quarante qui racontaient son histoire. Je me suis procuré son disque et j’ai mis la main sur des photos d’elle. Parmi ces photos, une m’a particulièrement marqué, celle où on la voit avec une couronne de petite fille dans les cheveux, des ailes dans le dos et une robe argentée. J’ai été troublé par son sourire à l’appareil photo qui est à la fois un sourire de petite fille et de folle.
– Vous n’avez pas voulu faire un biopic…
Non, j’ai préféré proposer un regard personnel et évoquer la vie de ce personnage. Donc je ne dis pas toute la vérité, mais ce que je dis est vrai (rires).
– Quel regard portez-vous sur elle ?
Dans le film, il est question d’émotions, de sentiments humains que je crois universels. Il est aussi question d’un personnage qui s’enferme dans une illusion. Sans doute a-t-elle besoin de cette illusion pour se protéger d’une réalité qui lui fait du mal, comme par exemple un mari qui ne la regarde plus. Je reste persuadé que l’un des grands enjeux de la vie est de savoir affronter la réalité.
– Cette illusion est alimentée par son entourage qui lui ment sans cesse…
Oui, son entourage lui a menti toute sa vie, si bien qu’elle n’a jamais su qu’elle chantait faux. Les gens autour d’elle ont menti, soit par intérêt, soit par lâcheté ou par cruauté. A un moment du film, un personnage demande s’il vaut mieux une vérité qui fait du mal ou un mensonge qui fait du bien. Je crois que si j’avais la réponse, je n’aurais pas fait le film.
– Comment avez-vous travaillé avec Catherine Frot ?
Ce tournage avec Catherine a été une expérience très forte. Je n’ai jamais eu l’impression qu’elle composait, qu’elle jouait. Je la voyais vivre ce personnage. Catherine est quelqu’un de très concret, elle propose des gestes, des regards, des ruptures de rythme, elle donne son avis sur les costumes… Son rapport au jeu est animal et instinctif. J’espère que le film rend hommage à la fois à son génie comique et à son sens de l’émotion.
– Comment avez-vous pensé l’esthétique du film avec le chef opérateur Glynn Speeckaert ?
On a fait un gros travail de direction artistique pour la reconstitution des années folles. Les objectifs que nous avons utilisés datent des années cinquante, ce qui crée ce climat si particulier. Je souhaitais que le film ait un scintillement à la fois classique et expressionniste abstrait, comme un tableau de nu féminin classique marqué d’un jet de peinture rouge.
– Dans votre film il est aussi question de surréalisme…
Oui, il est question du sens qui nous échappe.
– Dans une scène du film, Marguerite dit « l’argent n’est pas important, l’important c’est d’en avoir »…
Oui, ça me fait plaisir que vous ayez remarqué cette phrase du film à laquelle je tiens beaucoup. Cette phrase est surtout là pour montrer que le personnage n’a rien de matérialiste. Elle a un rapport à l’argent avant tout généreux et désintéressé. L’argent lui permet de vivre sa passion et de la partager avec d’autres. C’est une remarque tellement naïve et enfantine qu’elle en est même comique. Une fois qu’on découvre sa vie de femme, son couple, sa solitude et son besoin d’amour, on n’est plus du côté des rieurs, mais avec elle. Si on a fait ce chemin, j’ai gagné mon pari.
– Pour finir, quel est le dernier film que vous avez apprécié récemment au cinéma ?
« Foxcatcher », réalisé par Bennett Miller. J’ai trouvé l’écriture, la mise en scène et le jeu d’acteurs d’une élégance extraordinaire. Le film parvient à être à la fois mystérieux et d’une grande violence émotionnelle. A travers des questionnements moraux et identitaires, le film nous dit quelque chose de très important sur l’Amérique et le rapport qu’a cette société à l’argent.