Caroline, Raph, Matila sont trois jeunes coursiers à vélo. Le cycle est leur passion et les rues de Lausanne sont leur territoire. Pour son premier film, Frédéric Favre a filmé (et roulé !) au plus près de ses protagonistes, épousant leur quotidien, captant leurs bonheurs et leur coups de pompe, et dévoilant leur douce mélancolie.
– Frédéric Favre, pour ceux qui ne vous connaissent pas, comment vous présenter ?
– Je suis né en 1976 à Sion, et suis parti à Genève pour l’Université. C’est en devenant coursier, en marge de mes études de Lettres, que je suis tombé amoureux de la ville, car j’ai commencé à la connaître dans ses moindres recoins, dans son intimité.
– Quel a été votre parcours de cinéphile ?
– Je suis un enfant de la télé. J’ai passé des milliers d’heures devant le petit écran, comme plein de gens de ma génération. Un jour à 14 ans, je l’ai décidé : j’allais faire des films ! J’avais trouvé ma vocation. J’ai une formation d’abord théorique et académique, y compris en cinéma. Je me suis occupé du ciné-club universitaire de 2003 à 2012. En sortant de l’Uni, je voulais tout de suite travailler dans le milieu ; j’ai fait des petits boulots sur des tournages, puis de fil en aiguille, je suis devenu assistant-réalisateur dès 2005, pour l’ECAL, et pour Daniel Schweizer, avec qui j’ai travaillé 5 ans.
– Et votre parcours de passionné de cyclisme ?
– J’ai bossé de 2000 à 2008 à la Krick Cyclo [ndlr : entreprise vélo-postale genevoise], on a fondé avec cinq potes l’association Roue Libre en 2004 qui a été à l’origine de pleins d’actions festives et politiques décalées, notamment la création de l’Autre Salon.
– « Cyclique » est votre film de diplôme, c’est bien ça ?
– Oui. Mais le désir de faire ce film est venu bien avant le master cinéma. Déjà en 2005 j’en avais posé les premières lignes, mais ça n’a rien à voir avec le résultat final évidemment. J’avais juste envie de partager ma vision du travail de coursier, partager toutes ces sensations fortes.
– Le sujet s’est-il imposé de lui-même, de par votre implication dans ce milieu ?
– Je distingue le thème et le sujet. Le sujet c’est le monde des coursiers. Le thème du film pour moi, c’est la difficulté de grandir, de faire des choix. Les deux se sont imposés séparément. C’est un conseil d’un ami scénariste qui m’a aidé à faire le lien : « raconte une histoire dans un univers que tu connais bien, que tu aimes, que tu auras plaisir à filmer et que tu filmeras comme il faut. » Au départ le film était écrit à Genève, pour Genève. Et là c’est Jean-Stéphane Bron qui m’a aidé. Il m’a dit : il faut que tu changes de ville, que tu prennes de la distance. Genève c’est trop proche. Et puis Lausanne, ça c’est un vrai défi, aussi physique ! Alors j’y suis allé, mais pas de gaieté de cœur au départ : j’ai dû affronter pas mal de timidité et de peurs.
– Comment avez-vous trouvé vos trois héros ?
– De façon très organique. J’avais dû écrire un scénario complet du film (comme une fiction pure), que j’ai mis de côté pendant le tournage. Je l’ai repris une fois le film fini : on est incroyablement proche au niveau thématique, mais ça prend un tout autre chemin. Je dirais donc qu’on a vraiment fait le film ensemble avec les protagonistes : ils incarnaient exactement les énergies que je cherchais, les problématiques que je voulais raconter, mais je me suis laissé embarquer dans leur univers, dans leur monde, dans leur réalité, qui a dépassé la fiction.
– Il y a une mélancolie frappante chez ces personnes qui semblent pourtant tellement heureuses au moment d’enfourcher leur vélo. Conséquence d’une solitude propre aux gens dits « passionnés », à fond dans leur métier ?
– Il y a une mélancolie et une passion. C’est un film bipolaire je pense, tragi-comique, et cyclothymique (d’où le titre) ; ça résonne parce que je pense qu’une passion dévorante peut aussi jouer un rôle de refuge, de fuite de la réalité dans une de ses tranches. Ça donne une identité, ça distingue, mais peut aussi isoler des autres. En faisant « Cyclique », je me suis complètement plongé dans ce travail, et je me suis passablement isolé aussi. Même si j’étais à fond avec mes protagonistes.
– Dans le film, le métier de coursier passe dans le regard de certaines personnes pour une forme de passe-temps peu sérieux, voire immature. Une vie de coursier, une vie de chien ?
– C’est vrai que je voulais démystifier un peu le métier de coursier, casser un peu la mythologie qu’on construit tout autour. Parce que je le connais de l’intérieur, je ne voulais pas rester sur l’image d’Epinal. Après, cela devient une petite métaphore de l’existence. Avec ses joies, ses peines… J’ai voulu faire un film sur ma vision optimiste de la vie, mais sans en escamoter le spleen.
– Quels sont vos projets après ce film ?
– Je suis en train de développer un nouveau projet qui se passe en montagne. Son titre de travail est « Encordés »… Je suis en pleine phase d’écriture.
Cyclique
De Frédéric Favre
Avec Caroline, Raph et Matila
Filmbringer
Sortie le 29/04