Le « Crime Story » à l’américaine est en train de renaître. Genre ayant connu son heure de gloire dans les 70’s, il est aujourd’hui doucement remis au goût du jour et semble avoir gagné en intensité contenue et en violence sourde, comme en témoignent parfaitement les trois dernières réussites du genre : « Gone Girl », « A Most Violent Year » et celui qui nous intéresse ici, « Foxcatcher ».
Basé sur l’histoire vraie de John E. Du Pont, multi-milllionaire américain et passionné de lutte, le film nous raconte l’étrange et inattendue relation qui se développe entre lui et les frères Schultz, célèbres lutteurs, lorsque Du Pont décide de former sa propre équipe de lutte pour gagner les Jeux Olympiques, la Team Foxcatcher. Mais ce qui commençait comme l’opportunité d’une vie va graduellement se transformer en huis-clos psychologique malsain, mené inconsciemment par l’instable Du Pont.
Personnage central et fascinant, c’est sur ce dernier que reposent tout le suspens et le malaise créés par le film. On réalise en effet assez rapidement que Du Pont tient plus du psychopathe latent et du décadent moral, que du philanthrope et humaniste qu’il paraissait et voulait être. Il devient donc de plus en plus difficile, au fur et à mesure que l’intrigue avance, de prévoir son comportement, surtout vis-à-vis du jeune et encore influencable Mark Schultz, qui devient un peu trop vite son protégé privilégié et son « ami ». Quelles sont les intentions de Du Pont envers lui ? S’offrir un confident ? Rendre sa mère enfin fier de lui ? Satisfaire son désir mégalomane ? Toutes ses questions amènent plusieurs éléments de réponses, savamment disséminés au fil des scènes, toujours de manière suggérée et subtile. Mais rien n’avait préparé Du Pont à trouver de l’adversité en Dave Schultz, le frère de Mark, qui viendra doucement bouleverser les plans du multi-millionnaire, créant ainsi une tension dramatique supplémentaire et fatale. Le fonctionnement psychique de Du Pont est donc passionnant, car imprévisible et voué à se heurter à des éléments hors de son contrôle. Ce qui tient en haleine jusqu’au climax du récit, tragique à souhait.
Habitué aux personnages à la psychologie à part (« Capote », « The Cruise »), Bennet Miller explore une nouvelle fois son approche narrative de ce thème et adapte de même sa mise en scène, optant à nouveau pour un classicisme savant. Majoritairement composée de plans fixes ou de lents mouvements de caméras, la réalisation de Miller envoûte par sa lenteur et sa précision. Tout y est strict, parfaitement calé et millimétré. À tel point que malgré la visibilité de la mise en scène, Miller arrive rapidement à nous la faire oublier, pour mieux servir ses personnages. On a alors l’impression de regarder un tableau de maître, dont le cadre est aussi beau que la toile, mais qui malgré sa perfection ne cherche rien d’autre que d’appuyer l’explosion de tensions et d’émotions qu’est la narration. Dans la même idée, la photographie brumeuse et le décor austère (et quasi unique) de la ferme Foxcatcher appuient cette impression d’enfermement et d’impossiblité de fuite. Miller met ainsi en place un environnement cinématographique maîtrisé à l’ambiance sourde et crispante, pour mieux laisser l’intrigue grandir et les personnages s’approfondir.
Ces personnages qui, en dehors de leur écriture subtile, sont exceptionnellement incarnés par un trio d’acteurs à contre-emploi. Steve Carell n’a désormais plus rien à prouver, tellement son regard est glaçant (on ne regardera plus « The Office » de la même manière) ; Channing Tatum montre définitivement qu’il est bien plus qu’un acteur à musculature et de comédie potache ; et Mark Ruffalo prouve enfin qu’on avait bien fait de croire en lui depuis « Zodiac ». Difficile d’analyser le jeu d’un acteur, mais l’unique fait qu’il disparaisse totalement dans son rôle est la preuve que l’entreprise est plus que réussie. Sidérant, bluffant, captivant… ajoutez le superlatif de votre choix, il devrait tout aussi bien faire l’affaire.
Bien entendu, « Foxcatcher » n’a pas « vraiment » marché au Box-Office, mais il s’agit désormais d’une condition presque sine qua non, pour légitimer un film indépendant un tant soit peu différent. Mais avec le Prix de la Mise en Scène du Festival de Cannes 2014 en poche, Bennet Miller n’a plus vraiment de souci à se faire et pourra continuer à faire partie de ces réalisateurs si rares qui mettent entre trois et sept ans à faire un film, nous livrant à chaque fois un nouveau chef-d’œuvre.
Foxcatcher
De Bennet Miller
Avec Steve Carell, Channing Tatum, Mark Ruffalo
Ascot Elite