À 8 jours de la cérémonie de clôture de la compétition cannoise, certains films ont retenu toute notre attention, d’autres n’ont pas provoqué l’effet escompté. Voici nos premiers pronostics pour la fameuse Palme D’Or.
Après la projection très appréciée de Café Society, dernier cru de Woody Allen présenté en film d’ouverture hors-compétition ce mercredi 11 mai, la compétition officielle a débutée timidement le lendemain avec Sieranevada, huis-clos familial roumain de Cristi Puiu, jusque-lors sélectionné deux fois dans la catégorie Un Certain Regard, où il a obtenu le prix en 2005 pour La Mort de Dante Lazarescu. Le (trop) long métrage de 2h53 aura eu raison de notre première fatigue, les dialogues verbeux et la réalisation lente et minimaliste n’ayant pas su retenir notre attention.
Dans un registre plus tranché et provoquant, Alain Guiraudie revient trois ans après la sensation de L’Inconnu du Lac, et se qualifie lui aussi pour la première fois en compétition officielle avec Rester Vertical, quête sensorielle de l’acceptation de son homosexualité. Provoquant et impertinent, Guiraudie ne justifie sa mise en scène qu’à travers des scènes de nudité, des dialogues pauvres et une narration abstraite ne laissant place qu’à la pulsion masculine et la liberté individuelle à tout prix. Sans jamais faire entrer son spectateur, le réalisateur rate son effort avec une morale pompeuse emplie de métaphores grossières. Une direction d’acteurs lamentable dans une mise en scène vidée de toute substance et de tout intérêt.
Malgré ces débuts malheureux, la compétition est véritablement lancée grâce à Bruno Dumont et son Ma Loute inspiré et décalé. Projeté ce vendredi 13 mai, cette comédie déjantée fait exceller Fabrice Luchini et Juliette Binoche en bourgeois caricaturaux du début 20ème siècle, pris dans une affaire policière rocambolesque où le spectateur jouit d’une longueur d’avance sur son duo d’inspecteur hilarant, digne d’un hommage direct au comique de Laurel et Hardy. Dumont plonge le spectateur dans son univers loufoque et jusqu’au-boutiste, explorant également le drame à travers un Roméo et une Juliette magnifiquement incarnés par de jeunes acteurs en devenir. Le tout reste assez inégal malgré tout, victime de quelques longueurs et d’un humour qui s’immisce peu à peu dans la lourdeur avant de retrouver sa superbe dans le dernier quart d’heure. Le sens du cadre et de la lumière captive, et la radicalité et la fraicheur de l’écriture séduisent instantanément.
La première vraie réussite nous viendra de Ken Loach, qui, pour sa 13ème compétition au Festival, livre un drame social poignant et sans artifices avec I, Daniel Blake, d’une efficacité remarquable à la dimension émotionnelle terrassante. La critique complète de ce premier coup de cœur est à retrouver ici .
En ce samedi 14 mai, les deux films qui poursuivent la compétition se présentent comme deux sérieux candidats à la Palme D’Or. En début d’après-midi, c’est un film allemand que nous découvrons avec Toni Erdmann de Maren Ade, pour la première fois à Cannes après un début de carrière très remarqué, récompensé d’un Ours d’Argent à la Berlinale de 2009 pour Everyone Else. Avec son troisième long métrage, la réalisatrice conquit une salle hilare devant une comédie imprévisible et touchante, à la recherche d’un amour perdu entre un père et sa fille. Une ode à la vie, aux plaisirs simples que Inès, femme d’affaire moderne travaillant pour une agence de consulting basée à Bucarest, a délaissé pour son travail sérieux, compétitif, et représentatif d’une nouvelle bourgeoisie citadine déshumanisée. Son père Winfried, essaye, par ses déguisements et ses apparitions opiniâtres, de décrire une absurdité et renouer un lien brisé par une modernité outrancière. Si l’histoire peine à prendre son envol et que la mise en scène minimaliste a du mal à captiver, la montée en puissance étonne par ses non-dits et leurs pouvoirs empathiques. Toute l’émotion passe par l’image, les regards, jusqu’à une explosion totale en dernière partie, qui frôle le chef d’œuvre par une écriture calibrée et des situations inattendues. Même si le film prend peut être trop son temps (2h42), il n’en reste pas moins une belle claque de début de festival.
Les réjouissances se poursuivent avec Agassi|The Handmaiden (Mademoiselle) de Park Chan-wook. Après avoir raflé deux fois le Prix Du Jury – En 2003 avec Oldboy puis en 2009 avec Thirst, Ceci est mon Sang – le réalisateur sud-coréen pourrait bien être l’un des favoris de cette compétition grâce à un thriller érotique gracieux sur fond d’arnaque et de saphisme. Divisé en 3 parties pour mieux tromper son spectateur, Agassi raconte l’histoire de Sookee, jeune servante engagée pour prendre soin d’une riche japonaise, Hideko, recluse dans un immense manoir sous les ordres d’un oncle tyrannique. Avec l’aide d’un escroc se faisant passer pour un comte japonais, ils essayent tous deux de voler l’héritage de Hideko. S’en suit un jeu manipulatoire remarquable entre les trois protagonistes, piégeant habilement son spectateur grâce à un scénario millimétré et un sens malin de la narration. La photographie est sublime, mais Park Chan-wook insiste trop sur l’érotisme – pourtant puissant et admirable en première partie – sombrant peu à peu dans le fantasme pur tant l’intrigue se suffit à elle-même.